L'Impératrice indomptée
cloître de carmélites ; la chambre des amants est transformée en chapelle, l’autel s’élève à l’endroit même où Rodolphe expira : le silence a succédé aux sonneries des cors de chasse, la paix éternelle à la passion éphémère. Et le 18 février, Andrassy meurt à Vienne. Très affectée, l’impératrice assiste à ses obsèques à Budapest.
Le bruit qu’elle est folle commence à circuler. La presse ne tarde pas à s’en emparer. Les journaux laissent entendre que l’état physique et psychique de l’impératrice est extrêmement inquiétant. Elle est atteinte, disent en substance ces journaux, d’une sorte de « folie raisonnable » ; elle bercerait un coussin dans ses bras et demanderait si le nouveau prince héritier est beau. Il se répand les plus invraisemblables calomnies. Elle est alors à Wiesbaden. Chaque jour, elle se promène en compagnie de sa fille et des dames de sa suite au vu et au su de tous. Peine inutile, cela ne suffit pas à démentir les affirmations fausses. Ida Ferenczy croit de son devoir de lui signaler les rumeurs. Sur quoi, Élisabeth se montre à plusieurs reprises en public, à Wiesbaden et à Vienne. Le séjour dans la ville d’eaux calme un peu sa nervosité : elle retrouve progressivement son visage d’autrefois ; elle apparaît plus calme, mais il subsiste dans son regard une expression douloureuse. Son grand voile de crêpe, qu’elle ne quitte pas, contribue naturellement à cette impression de tristesse.
Voyager devient vain. Elle semble y renoncer un moment et se réfugie alors dans une stricte retraite à Gödöllö, où les esprits de trois hommes qu’elle a aimés lui tiennent compagnie. Seule, en silence, elle monte son calvaire. À sa soeur, la duchesse d’Alençon, elle écrit : « Tout être humain passe par un jour où son âme meurt ; il continue à vivre, mais le corps seul est encore vivant. Ni joie ni tristesse ne peuvent plus le toucher après cela. » Et encore : « J’aimerais disparaître du monde comme un oiseau qui s’envole au loin ou comme la fumée qui se dissout devant nos yeux et se réduit à rien. » L’église est devenue sa seule consolation. Elle va à la messe, quand la fantaisie l’en prend. Plus souvent, elle recherche l’intimité de sa propre petite chapelle. Sa santé devient de plus en plus mauvaise, ses forces déclinent et, au cours de ses promenades, il lui faut parfois s’appuyer sur le bras de sa dame d’honneur. Mais sa taille ne se courbe pas sous le poids de la souffrance, elle est toujours ce grand lis noir.
En 1896, la Hongrie célèbre le millénaire de saint Étienne. Élisabeth, encore en grand deuil, est âgée de cinquante-neuf ans. Les Hongrois la supplient de venir. Elle hésite, puis accepte. Elle s’assied à côté de l’empereur sur le trône. Le président du Parlement lit son nom. La foule pousse des acclamations délirantes : « Eljen Erzebet ! » Leur reine ! Minutes d’enthousiasme inouï. Sa Majesté tente de maîtriser son émotion, sans y réussir. Les larmes ruissellent sur son visage. C’est son adieu à la Hongrie.
Elle se réfugie ensuite à Corfou, accompagnée de son lecteur grec, Christomanos. Il est toujours ébloui par sa beauté, lui qui note : « Elle était une reine de grâce et de bienveillante considération. L’ostentation, la pompe et la cérémonie, elle ne les aimait pas, et quand elle se parait des insignes de son rang, elle n’était pas rendue plus belle par cet inestimable déploiement de pierreries, dont la magnificence et l’éblouissante beauté semblaient faire partie d’elle. Quand il m’arrivait de voir sa personne délicate et fine se silhouetter sur la sombre forêt, elle me rappelait un svelte cyprès se balançant dans un cimetière d’esprits. Comme elle semblait encore jeune, elle qui était déjà grand-mère ! Comme ils étaient clairs et purs, les grands yeux qui révélaient parfois la touchante simplicité d’une âme d’enfant, ses yeux qui dans les vallées de ce triste bas monde ont versé tant de larmes. »
Elle se promène beaucoup avec lui. Pendant leurs tête-à-tête, il apprend à la connaître et il est étonné de ce qu’il y découvre. « Pour s’accorder avec la vie, lui dit-elle une fois, on en arrive à s’isoler. Les hommes abîment les choses, ce n’est que là où elles sont seules qu’elles gardent leur beauté éternelle. Il suffit de penser que dans cent ans il n’y aura
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