L'Impératrice indomptée
arrive de sortir de l’hôtel par les sous-sols.
Ses interminables excursions montagnardes la conduisent fréquemment au-dessus de Menton et de Nice. Roquebrune est le but de nombreuses promenades. Elle va se recueillir dans la petite église au clocher carré, couvert de tuiles rougeâtres, et s’entretient familièrement avec le curé. Un jour, elle le trouve bouleversé ; les larmes aux yeux, il lui apprend que des ennemis veulent l’obliger à quitter sa paroisse. Elle lui propose d’intervenir. Le lendemain, elle reçoit la visite d’un personnage officiel français. Après les compliments d’usage, elle dit, avec la grâce de son sourire :
— J’ai une faveur à vous demander.
— Majesté, elle est accordée d’avance.
De quoi rendre le sourire au brave curé.
Non loin de La Turbie, se trouve le vieux monastère de Laghet. Une très ancienne Madone y est en grande vénération dans toute la région. De naïfs ex-voto couvrent les murs de son petit cloître. L’impératrice vient souvent prier devant l’antique image de Notre-Dame de Laghet. Son pèlerinage n’est pas sans mérite car, pour l’atteindre, la pente est rude et, depuis plusieurs années, elle souffre de douleurs au genou qui, parfois, se font très vives. Mais elle refoule la souffrance avec une énergie farouche et n’en poursuit pas moins sa pénible ascension. Il advient qu’au retour d’un de ses pèlerinages, la douleur disparaît complètement. Elle attribue cette guérison à l’intercession de Notre-Dame de Laghet. Par reconnaissance, elle fait exécuter à Vienne une très belle couronne d’or pour l’offrir à la statue miraculeuse.
L’église de Cimiez, où l’image de la Vierge est encadrée de glaces et de dorures à la mode italienne, attire aussi Élisabeth. De l’intérieur du cloître, s’étend une admirable vue sur la vallée du Paillon. La terrasse, ombragée de figuiers, est orientée de façon à apercevoir tout Nice, la cité mondaine, toute proche cependant. On ne voit que la montagne, le ciel et une échappée de mer bleue. Elle y apprécie la messe des Capucins qui lui évoquent les moines de Corfou.
Pendant ces séjours au cap Martin, l’impératrice doit quelquefois se souvenir qu’elle est une majesté et visiter les nombreux princes et souverains qui viennent sur la Côte d’Azur oublier le poids des grandeurs. Ce sont la reine Victoria, installée sur les hauteurs de Cimiez, à l’hôtel Regina, près de sa fille, la princesse de Battenberg, qui habite la villa Liserb ; le prince de Galles, l’hôte fêté de Cannes ; le roi de Suède, le roi et la reine de Saxe, le prince de Monaco, le grand-duc Michel, l’archiduc Renier, le roi des Belges. Elle les reçoit à déjeuner à bord du Miramar , et, s’arrachant à son habituelle mélancolie, leur en fait les honneurs avec une grâce incomparable. Elle retrouve au cap Martin l’impératrice Eugénie. On s’imagine ce que doivent être les entretiens de ces deux impératrices. Elles se sont connues dans une vision d’apothéose, et le caprice de leurs vies désemparées les ramène l’une vers l’autre, le coeur brisé par un même deuil... toutes deux pleurant leurs fils !
François-Joseph vient quelquefois incognito retrouver Élisabeth. Elle s’en réjouit longtemps à l’avance. Quand elle découvre un joli site, elle dit à sa dame d’honneur : « Nous montrerons cela à l’empereur ! Ici, il peut se reposer, se distraire ; mais je crains toujours un événement inattendu qui bouleverse tout... » Elle va l’attendre à la gare de Menton, et ceux qui l’aperçoivent sur le quai s’étonnent de l’expression joyeuse de ses regards et de son sourire. Elle profite aussi du voisinage de la comtesse Trani, qui habite San Remo. Les deux soeurs passent ensemble de longues journées à évoquer les souvenirs de leur jeunesse, à égrener l’interminable rosaire des souffrances de leur vie. Toutes deux viennent fréquemment à Paris, où elles retrouvent la reine de Naples et la duchesse d’Alençon. Élisabeth y fait un long séjour à la fin de l’automne 1896. Un rayon de jeunesse et de bonheur éclaire le foyer du duc et de la duchesse d’Alençon ; leur fils a épousé au mois de février précédent la princesse Henriette de Belgique, et la délicieuse duchesse de Vendôme se montre pour les parents de son mari la plus attentive des filles. Sa grâce exquise, la séduction de son sourire ravissent Sissi,
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