L’impératrice lève le masque
de Mlle Wastl, enfile sa robe de chambre.
Ensuite, elle passe le courrier en revue tout en s’avançant vers la table à pas lents. Elle laisse tomber tout ce qui ne l’intéresse pas : une lettre de sa cousine, le menu de la journée, le programme d’un concert de musique militaire sur la place Saint-Marc, une missive du patriarche de Venise.
— Où est le courrier de Vienne ?
— Il n’y en a pas, Altesse Sérénissime.
Mlle Wastl se retourne et fait une révérence – signe qu’elle est mal à l’aise.
— Qu’est-ce que cela veut dire, qu’il n’y en a pas ?
L’impératrice la regarde poser sur la table le plateau avec le chocolat chaud et les petits pains. Sa femme de chambre y parvient sans faire le moindre bruit, ce qui est très important car Élisabeth a les oreilles très sensibles au réveil.
— Il s’est passé quelque chose, Altesse Sérénissime.
Petite flexion nerveuse du genou.
— Quoi ?
— Il est arrivé quelque chose au conseiller aulique, Altesse Sérénissime.
À nouveau, elle esquisse une révérence.
— De quel conseiller parles-tu ? Et cesse de faire des courbettes à la fin de chaque phrase !
— De celui qui avait le courrier, Altesse Sérénissime.
Une fois de plus, elle s’apprête à s’incliner, mais cette fois, elle se retient à la dernière seconde, si bien qu’il ne reste qu’un léger tremblement de la jambe.
— Je n’y comprends rien du tout, dit Sissi, avec un petit sourire destiné à montrer qu’elle ne lui en veut pas. Appelle-moi Mme Königsegg.
Mlle Wastl a dix-huit ans et, avec sa silhouette rondelette, sa robe noire, son tablier et son bonnet blancs, elle est assez mignonne. Ses petits yeux noirs ont quelque chose d’une souris, mais Élisabeth lui envie ses dents blanches et régulières. De plus, elle sait, sans thermomètre, porter l’eau du bain à une température idéale et elle lave les cheveux avec tant de douceur que cela ne fait jamais mal. Mlle Wastl est donc une femme de chambre parfaite, sauf qu’à chaque fois qu’elle doit répondre à une question, elle devient toute rouge et commence à bégayer.
L’intendante en chef met presque un quart d’heure à se présenter, ce qui est tout à fait incompréhensible puisque neuf heures viennent de sonner et que les Königsegg se sont retirés hier sur le coup de dix heures – elle à cause de prétendus maux de tête, lui sous prétexte de rejoindre des camarades de régiment au Quadri , alors que toute la ville sait bien qu’il a une affaire avec une soubrette de La Fenice.
Vu sous cet angle, les Königsegg forment d’ailleurs une compagnie de rêve pour Élisabeth, car dans sa situation, elle ne supporterait pas d’être en permanence confrontée à un couple heureux. Après l’échec de sa propre union, qui ne survit que par raison d’État, elle éprouve une certaine satisfaction à constater que d’autres connaissent aussi un tel revers de fortune. Elle n’approuve pas ces sentiments et s’en fait le reproche – mais cela n’y change rien.
Il ne faudrait pas croire qu’elle en veuille à son intendante en chef, au contraire ! Elle l’apprécie même beaucoup, ne serait-ce que parce qu’elle lui rappelle la victoire remportée sur sa belle-mère. Depuis janvier, la comtesse Königsegg remplace en effet l’abominable Esterhazy que la grande Sophie lui avait imposée à son arrivée en 1854. En outre, le fait que Sissi ne soit pas rentrée directement de Corfou, mais qu’elle ait eu le droit de faire halte à Venise est un autre succès, d’autant que ses enfants ont obtenu l’autorisation de passer trois mois avec elle malgré la résistance acharnée de la grande duchesse. À cet égard, Élisabeth peut donc s’estimer heureuse.
Et pourtant, elle ne l’est pas, car la Sérénissime lui tape sur les nerfs : du brouillard le matin, du brouillard le soir et, au milieu de tant de brouillard, des chutes de neige et des journées si sombres qu’elle en vient à se demander si l’on peut se suicider par ennui. Que se passerait-il si son cœur s’ennuyait autant qu’elle et si, à force, il s’arrêtait de battre ? Ou si ses poumons arrêtaient de respirer ?
Et les soirées sont pires encore ! Tandis que tout le monde s’amuse à des bals masqués, elle est condamnée à trier ses photographies, écrire des lettres ou jouer aux cartes avec les Königsegg. Elle a refusé de se rendre aux bals officiels organisés par l’armée et, pour
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