L’impératrice lève le masque
mouvement de la tête.
— Quoique, en principe, l’aneth soit réservé au Kuttel-geröstl . Coupé en petits anneaux.
— Le Kuttel-geröstl ?
— Oui. Vous faites cuire des tripes, vous les coupez en fines bandelettes et vous les faites revenir avec des oignons, de l’ail, du lard et des lamelles de pommes de terre. Puis vous saupoudrez le tout d’aneth ciselé. Encore une cuillère, commissaire ?
Comme toujours, Spaur s’était emparé de la cuillère sans attendre la réponse de son interlocuteur et le resservait déjà. La bordure des assiettes était décorée de motifs égyptiens. Par deux fois, Tron parvint à mettre ses sens gustatifs en veilleuse en se concentrant sur les têtes d’Horus. Les palmes et les faucons verts et dorés étaient peints au pochoir : les contours se ressemblaient, mais il y avait des différences de teinte. En recherchant bien des écarts de couleur, on oubliait ce que la fourchette déposait dans la bouche. Tron remarqua que le vert des feuilles avait des reflets changeants.
Comme son supérieur détestait parler travail pendant le repas, Tron dut attendre le café pour le mettre au courant. Quand il eut fini son rapport, Spaur le regarda d’un air sceptique.
— Vous prétendez donc que c’est le sous-lieutenant qui aurait tué le conseiller et qu’il serait couvert par le colonel Pergen ?
Il versa dans son café le cognac qu’on lui avait servi. Son visage, déjà rougi par la consommation d’une bouteille de barolo, prenait lentement la couleur de tomates mûres.
— Je ne prétends ni l’un ni l’autre. J’aimerais juste obtenir quelques explications.
— À quel sujet ?
Le commandant de police retourna le verre vide – signe pour le garçon de lui en apporter un deuxième.
— À propos de la dispute dans le restaurant du paquebot par exemple. Mais je me demande aussi pour quelle raison le sous-lieutenant est descendu à terre sans s’inquiéter du sort de son oncle après la tempête. Et enfin, j’aimerais savoir pourquoi Pergen est venu le voir au casino et pourquoi ils se sont querellés.
Le supérieur sourit.
— Cela fait un paquet de questions. Pourtant, je doute que le colonel et Grillparzer vous y apportent la moindre réponse.
— J’en doute aussi. Mais je suppose qu’une copie de mon rapport sera adressée à Toggenburg ?
— Quel rapport ?
Le sourire s’effaça soudain sur le visage du commandant en chef. Tron essayait de prendre l’air le plus innocent possible.
— Celui que je vais écrire.
— Sur quoi ? Sur le fait que les investigations se poursuivent dans le dos de la police militaire ? Ou que vous soupçonnez le colonel Pergen de bloquer la procédure ?
Le commissaire répondit :
— Il suffit que le rapport établisse quelques faits. D’autres pourront tirer les conclusions qui s’imposent.
— Et qui sont ces autres ? Toggenburg ?
— Par exemple.
— Vous oubliez juste une chose, commissaire.
— Quoi donc ?
Le sourire que lui adressa son supérieur était extrêmement froid.
— Que ce rapport doit d’abord passer sur mon bureau. Et que je vais bien me garder de le transmettre au commandant de place.
— Pour quelle raison ?
Le sourire de Spaur était maintenant glacial.
— Parce que je ne peux pas soupçonner quelqu’un qui veut prévenir un attentat contre l’impératrice d’avoir d’autres motifs.
— Vous voulez dire que Toggenburg croira le colonel Pergen ?
— Toggenburg est persuadé que tout Italien cache un poignard sous ses vêtements. Bien sûr qu’il va le croire !
Spaur but une gorgée de café.
— Sous peu, François-Joseph sera en visite officielle à Venise. Ce n’est pas le moment d’entamer une guerre de compétences entre les autorités militaires et nous.
— Je pourrais essayer de discuter avec quelques passagers ? De manière officieuse ?
— J’ai déjà discuté avec l’un d’eux – de manière officieuse. Hier soir, avec mon neveu Ignatz Haslinger. Il se trouvait aussi à bord de l’ Archiduc Sigmund dans la nuit de samedi à dimanche. Mais il s’est endormi peu après minuit grâce à une double dose de laudanum et il ne s’est réveillé que le lendemain matin. Il m’a dit qu’il n’avait même pas remarqué la tempête.
Tout à coup, Spaur sembla amusé.
— Vous pouvez lui parler si vous voulez ! Je crois qu’il vous plaira, commissaire. Il aime beaucoup la littérature. Peut-être s’abonnera-t-il à l’ Imperio della Poesia…
Bien sûr, le
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