L’impératrice lève le masque
plaisanterie ?
— Tout le monde fait ça ! répondit-il, vexé.
— Qu’est-ce que cela veut dire, tout le monde ? Pergen aussi ?
— Tous. Pourquoi crois-tu que nous n’ayons pas fermé ?
Il haussa les épaules et poursuivit :
— Bon, d’accord. Que puis-je faire d’autre pour toi ?
Il sourit de nouveau, mais cette fois, c’était le sourire d’un ancien camarade prêt à l’aider.
Tron lui rendit son sourire.
— Garder les yeux ouverts.
— Tu crois vraiment que Grillparzer a tué son oncle ?
— Je sais juste que cette histoire n’est pas claire, Zorzi.
— Un crime n’est jamais clair.
— Je voudrais quand même bien savoir si Pergen couvre le sous-lieutenant. Et si oui, pourquoi.
— Donc, tu crois que c’est Grillparzer.
— Lui au moins, il avait un motif.
Le commissaire se leva et bâilla.
Son ancien camarade de classe fit alors une autre proposition : — Nous avons deux gondoles à la disposition des gros bonnets. Tu n’as qu’à prendre l’une des deux.
— Je peux rentrer à pied.
— Là, tu exagères, se fâcha Zorzi. Cette fois, j’insiste.
— Bon… accepta Tron qui trouvait aussi qu’il en faisait maintenant un peu trop.
Quelques minutes plus tard, confortablement installé dans la gondole du casino (ornée d’un capitonnage très luxueux et recouverte d’un dais de soie rouge), Tron se demandait ce qui avait pu l’inciter à repousser de manière aussi catégorique quelques jetons. Parce qu’il n’avait pas besoin d’argent ? Sûrement pas ! Parce qu’il voulait prouver qu’il était incorruptible ? Non plus. Il n’avait encore jamais rien eu contre une petite ristourne – à condition qu’elle ne dépasse pas une certaine somme.
Avait-il réagi de la sorte parce qu’il voulait faire croire à son ancien camarade qu’il n’avait pas besoin qu’on lui fasse la charité ? Oui, sans doute – ce devait être quelque chose dans ce genre. Bien sûr, c’était stupide. Zorzi savait que les Tron étaient sur la paille. Et s’il l’ignorait, pensa le commissaire, il s’en était rendu compte rien qu’en voyant sa redingote.
1 - XVIII e siècle. ( N.d.T. )
12
La pièce dans laquelle elle se trouve baigne dans l’obscurité. Pourtant, dès qu’elle émerge, elle sait où elle est. L’odeur de la chambre le lui rappelle aussitôt : les rideaux sentent l’humidité, même les poêles qui chauffent en permanence depuis son arrivée ne parviennent pas à chasser l’odeur de moisi qui colle aux tapis.
Elle a interdit à Mlle Wastl de la réveiller. Pourquoi se lever ? Les enfants sont de nouveau à Vienne. Donc, personne ne l’attend derrière la porte. Élisabeth aime cet état de semi-torpeur. Tout à l’heure, au beau milieu de la nuit, elle a cru pendant plusieurs minutes qu’elle était chez elle, au bord du lac de Starnberg, et sans le vouloir, elle a tendu l’oreille pour écouter la respiration de ses sœurs et le pas lourd des chiens.
À Possenhofen, la journée débutait par des aboiements. Ici, à Venise, c’est le vacarme des mouettes. Les oiseaux se réveillent à l’aube et se disputent aussitôt. Ils font des vols piqués ou des pirouettes devant ses fenêtres en poussant des cris si perçants qu’ils traversent les trois ou quatre épaisseurs de tissus tirés devant les vitres. Puis vers sept heures, c’est la Marangona 1 du Campanile qui se met à résonner, parfois si fort que le verre posé sur la table de nuit vibre.
Sissi s’assoit dans son lit. À tâtons, elle cherche le cordon près de sa tête et tire la sonnette.
Quand la porte s’ouvre, un long rectangle de lumière pâle tombe sur le gigantesque tapis qui recouvre la mosaïque. Puis Mlle Wastl s’avance, un plateau dans les mains. Élisabeth aperçoit la chocolatière, la tasse, la corbeille à pain en argent ainsi qu’un tas d’enveloppes de différents formats : son courrier quotidien. Mlle Wastl se tient les yeux baissés et attend que Sissi lui dise où elle souhaite prendre le petit déjeuner.
— Pose-le sur la table, ordonne-t-elle. Mais donne-moi les lettres !
Cela veut dire qu’elle va se lever et manger devant la fenêtre.
Par beau temps, elle a une vue imprenable sur le bassin de Saint-Marc. Mais aujourd’hui, l’atmosphère extérieure est blanche comme du lait. Sissi doute que son regard porte jusqu’à Santa Maria della Salute, pourtant située à quelques centaines de mètres seulement. Elle se lève et, sans attendre l’aide
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