L’impératrice lève le masque
été appelé.
— Quel commissaire ?
— Celui qui est en charge de Saint-Marc. Un Vénitien.
— Que savez-vous encore ?
— Il y avait un deuxième cadavre, ajoute Mme Königsegg sur un ton qui trahit que ses pensées sont ailleurs. Il y avait une femme dans la cabine du conseiller…
Là, Élisabeth doit à nouveau reprendre sa respiration. Un deuxième cadavre ! Une femme ! Et elle, Sissi, au beau milieu de ce scandale parce que son courrier a été victime d’un affreux concours de circonstances !
— Sait-on qui est cette femme ?
— Non. Mais Mlle Wastl dit qu’elle était jeune.
Mme Königsegg se mouche. Puis elle ajoute d’une voix toujours aussi traînante, qui commence à agacer l’impératrice :
— Elle a été attachée, mordue et frappée avant de trouver la mort.
Pour la troisième fois, Élisabeth doit reprendre son souffle.
— Qui a frappé cette femme ? Le conseiller ou l’assassin ?
La comtesse prend une mine décontenancée.
— Je n’en sais rien.
— Cela vaut-il la peine que je parle à Mlle Wastl ?
— Je pense qu’elle m’a confié tout ce qu’elle sait.
— Et comment mon courrier parvient-il au palais en temps normal ?
— Il passe par le bureau du commandant de place. Puis un sous-lieutenant de l’état-major vient nous apporter vos lettres.
— Ce serait donc à Toggenburg de me rendre des comptes sur la disparition du courrier…
Ce n’est pas une question, mais un constat. Mme Königsegg se contente par conséquent d’un mouvement de tête. Élisabeth décide de convoquer Toggenburg dans ses appartements de la Fabbrica Nuova.
— Ai-je des rendez-vous ce matin ? demande-t-elle.
La question est en soi superflue car elles savent bien toutes les deux qu’Élisabeth n’a encore jamais eu de « rendez-vous » à Venise et qu’elle n’en aura jamais. Mais pour la forme, l’intendante en chef réfléchit un instant. Puis elle secoue la tête :
— Non, Altesse Sérénissime. Pas que je sache.
— Veuillez écrire un mot à Toggenburg, lui ordonne l’impératrice après avoir elle-même médité quelques instants. Qu’il soit ici à onze heures ! Précisez-lui que je souhaite avoir des explications sur la disparition du courrier. Et que j’attendais une lettre de Sa Majesté. Ce sera tout.
Mme Königsegg fait la révérence exigée par le protocole (qu’elle a oubliée vingt minutes auparavant, ce qui n’a pas échappé à Élisabeth) et se dirige vers la porte, mais avant son habituel combat avec la poignée, une autre idée traverse l’esprit de l’impératrice :
— Dites à Mlle Wastl de venir m’habiller. Et appuyez à fond sur la poignée !
1 - Nom de la plus grosse cloche du Campanile. ( N.d.T. )
13
Deux heures plus tard, dans la salle à manger vide de l’hôtel Danieli , Jean-Baptiste von Spaur, commandant en chef de la police vénitienne et fervent amateur d’entrailles animales, leva les yeux de son hachis de veau. La plupart des serveurs étaient là à ne rien faire et les rares clients – quelques officiers autrichiens et une douzaine de touristes – étaient disséminés dans la grande pièce. À la table voisine, un couple de Français louchait avec curiosité sur l’assiette de Spaur – les abats ne figurant pas sur la carte.
— Cela vous plaît-il, commissaire ?
Spaur lissa du plat de la main la serviette passée à son col.
— Excellent ! répondit Tron qui faisait attention à ne respirer que par la bouche pour bloquer au moins l’un de ses cinq sens.
Parfois, la masse gluante coupée en dés et recouverte de crème semblait bouger, et alors, il devait fermer les yeux. Ce plat s’appelait Beuscherl « du chef », car on avait utilisé du vin au lieu d’un simple vinaigre.
Quand Tron avait pris ses fonctions, trois ans auparavant, il avait confié à son supérieur que le mot Beuscherl lui plaisait à cause de l’imprononçable diminutif autrichien « 1 » qui semblait tout adoucir : le Schweindl , le Schatzl , le Supperl . Par malheur, Spaur avait compris qu’il voulait parler du plat. Tron n’avait jamais eu le courage de rectifier ce malentendu. C’est pourquoi, depuis, il déjeunait tous les lundis au Danieli et avait droit à des abats : panses et bonnets, poumon de veau rôti et autres salmigondis de cœur de bœuf.
— On peut aussi mettre de l’aneth sur la crème, ajouta le supérieur plongé dans la contemplation de son Beuscherl .
— Au lieu du persil haché ?
Spaur acquiesça d’un
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