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L’impératrice lève le masque

L’impératrice lève le masque

Titel: L’impératrice lève le masque Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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un étranger.
    Quand une Vénitienne a un ami, cela ne provoque pas de scandale. Au contraire, cet ami porte le nom de sigisbée 1 et l’époux, qui joue peut-être le même rôle auprès d’une autre, n’y trouve rien à redire. Il s’entretient avec le galant de son épouse, raconte Mme Königsegg, comme si c’était quelqu’un de tout à fait normal, et non un homme qu’il faudrait provoquer en duel. Cette idée plaît à Sissi. Elle aussi rencontre de temps en temps des hommes qu’elle pourrait très bien s’imaginer dans le rôle de – quel était le mot déjà ? – sigisbée . Sauf qu’elle doute que sur ce point, François-Joseph partage sa façon de voir.
    Après une grande boucle qui l’a fait passer au bas de la tour de l’horloge et devant le portail de la basilique, Élisabeth arrive sur la Piazzetta. Elle s’arrête au pied de la colonne surmontée d’un lion ailé et regarde le bassin de Saint-Marc. Devant l’église, elle a acheté un cornet de marrons chauds : elle a payé avec une monnaie qu’elle ne connaît pas et on lui a rendu de l’argent qu’elle ne connaît pas non plus. Bien sûr, à cause de la ouate qu’elle a dans la bouche, il est hors de question qu’elle mange les marrons, mais le cornet en papier, une feuille de la Gazzetta di Venezia roulée sur elle-même, dégage une merveilleuse chaleur et lui fait du bien aux doigts. En outre, elle a le sentiment qu’il complète son déguisement.
    Elle se donne un quart d’heure – cela devrait suffire pour se faire aborder par un officier. Ensuite, elle passera dix minutes (ou un peu plus si ce monsieur lui plaît) à discuter avant de prendre congé et de rentrer au palais royal en toute tranquillité, à un moment où les Königsegg devraient encore être au Malibran. C’est un plan parfait, et le soir idéal pour le mettre à exécution car le ciel a continué de s’éclaircir et elle voit, à son plus grand étonnement, une lune ronde sortir des nuages au-dessus de la Dogana.
    Sissi constate que la Piazzetta est maintenant bondée. La foule se dirige vers le môle, peut-être parce que personne ne veut manquer le spectacle de l’astre qui pend comme un énorme lampion au-dessus du canal de la Giudecca et qui répand sur le bassin de Saint-Marc un faisceau de lumière scintillante.
    Le corps des officiers, constate Élisabeth, continue d’être bien représenté parmi les promeneurs nocturnes. Deux hommes portant l’uniforme des pionniers de Linz passent à côté d’elle. Quelques mètres plus loin, elle aperçoit un capitaine de dragons de Graz qui déguste un sachet de frittolini . Et un sous-lieutenant des chasseurs de la garde impériale s’est arrêté sous son nez, si près que son manteau blanc a failli la frôler ! Il a le profil hardi d’un avers de médaille et Sissi (qui sent son cœur commencer à battre plus vite) espère qu’il va se retourner et lui adresser la parole. Malheureusement, il continue son chemin sans même jeter un regard derrière lui. Elle est déçue, mais elle a encore du temps car il s’est écoulé une demi-heure tout au plus depuis qu’elle a quitté la Fabbrica Nuova.
    Elle fait un huit sur la Piazzetta, puis un autre, se dirige vers le ponte della Paglia, fait demi-tour au pied des marches et revient en croisant à nouveau des officiers, seuls ou en groupes. Là encore, personne ne l’aborde et elle se met à nourrir le soupçon que le corps des officiers de l’armée impériale n’est pas à la hauteur des exigences de la cité.
    Vingt minutes plus tard, ce soupçon est devenu certitude, car elle a essayé à peu près tout ce que n’interdisent pas les limites de la bienséance. Elle s’est arrêtée plusieurs fois en jetant autour d’elle des regards désemparés, comme si elle était perdue. Les chasseurs de la garde impériale juste derrière elle n’ont pas réagi ; ces mufles ont tout bonnement continué leur chemin. Elle a laissé tomber son mouchoir sous les yeux d’un lieutenant des pionniers : il s’est détourné et a allumé une cigarette !
    C’est absolument scandaleux. Si les circonstances dans lesquelles elle a connaissance des manières du corps des officiers n’étaient pas aussi inhabituelles, elle en informerait aussitôt François-Joseph. Mais là, elle doit se contenter d’envisager la fin de sa promenade, qui a duré une heure ou peut-être un peu plus. Elle ne sait pas au juste quand elle est sortie du palais, mais en tout cas, le

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