l'incendie de Rome
jours. Mais ce sont ces bouseux de Napolitains qui en ont profité et, pour nous, les Romains, rien du tout ! Voilà pourquoi, je lui en veux, à Néron.
— Tu as raison. D’autant qu’avec le physique qu’il a, il doit avoir une sacrée voix !
Lucius haussa le ton :
— Eh bien, figure-toi que tout le monde n’est pas de cet avis. Je viens de me disputer avec ma femme à cause de cela. « Un empereur ne chante pas, qu’elle me disait, monter sur scène n’est pas digne d’un César… »
Il ajouta, espérant provoquer des réactions dans la partie féminine de l’assistance :
— Mais c’est bien connu, les femmes, cela ne comprend rien aux belles choses !
Le résultat ne se fit pas attendre. Une Romaine assez distinguée intervint :
— Et toi, qu’est-ce que tu y connais ? Bien sûr que je veux entendre Néron chanter ! Et je ne suis pas la seule…
Du coup, plusieurs autres, hommes et femmes, se manifestèrent à leur tour. Lucius Gemellus n’en était pas surpris. Il avait le don de faire parler les gens ; en sa présence, les langues se déliaient comme par enchantement. En tout cas, la réponse à la question ne faisait pas de doute. C’était une belle unanimité : tout le monde souhaitait entendre Néron chanter et plus que cela, même, l’exigeait !… Ce fut alors que des voix s’élevèrent pour faire taire les uns et les autres : la cérémonie allait commencer.
Effectivement, la vache pleine était arrivée au pied des marches du temple. Le prêtre l’attendait. Il répandit sur sa tête un peu de mola , la farine sacrée préparée par les vestales, et l’arrosa de vin. C’était l’immolation, qui précède le sacrifice proprement dit. Le victimaire s’approcha, leva sa hache et la cérémonie se poursuivit selon les rites ancestraux. Il demanda au prêtre :
— Dois-je le faire ?
Ce dernier se voila le visage en relevant un pan de sa toge et répondit :
— Fais-le !
L’homme abattit sa hache avec une sûreté remarquable. L’animal tomba d’une masse et, d’un autre coup tout aussi précis de son arme, il lui ouvrit le ventre de part en part… La cérémonie des Fordicidia , assez peu ragoûtante, consistait à sacrifier une vache pleine et à arracher les embryons qu’elle portait ; après quoi, ceux-ci étaient conduits en cortège jusqu’au temple de Vesta où ils étaient brûlés sur le foyer sacré. Tout se poursuivit normalement : le victimaire entreprit de retirer les veaux mort-nés, mais le prêtre fut pris alors d’une série d’éternuements irrépressibles.
Un cri de consternation s’éleva dans la foule. C’était la catastrophe ! Un tel incident signifiait, en effet, que les dieux refusaient le sacrifice. Il fallait tout recommencer, aller chercher une nouvelle vache pleine et enlever le corps de celle-ci. Une pareille tâche exigeait du temps, on devrait patienter encore un long moment, serrés les uns contre les autres.
Tandis qu’autour de lui, chacun pestait contre le prêtre qui n’avait pas été capable de se retenir, Lucius Gemellus était occupé par de tout autres pensées. Il voyait au loin les deux petits veaux couverts de sang qu’on avait arrachés du ventre de leur mère et ce spectacle réveillait en lui le plus terrible souvenir de sa vie…
Il avait fait la connaissance de Marcia au palais. C’était une affranchie de son âge, au service de l’impératrice Poppée, qui, avec de nombreuses suivantes chargées de sa beauté, s’occupait plus particulièrement de la coiffer. Lucius et elle s’étaient plu tout de suite et s’étaient mariés sans attendre. Poppée leur avait fait l’insigne honneur d’être présente à la cérémonie. L’existence s’annonçait de la manière la plus heureuse pour tous les deux, d’autant que Marcia n’avait pas tardé à être enceinte. L’accouchement avait eu lieu au mois d’août précédent. La chaleur était accablante. Lucius attendait dans la pièce voisine. Cela n’avait pas été long : la sage-femme était venue le trouver presque tout de suite. Avant même qu’elle parle, il avait compris. Elle lui avait annoncé que Marcia avait succombé à une violente hémorragie et que l’enfant n’avait pas survécu non plus. Lorsqu’il était entré dans la pièce, il avait été frappé par l’extraordinaire pâleur de la morte. À ses
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