l'incendie de Rome
aux cheveux roux et ce fut une acclamation gigantesque, qui couvrit facilement le bruit de la claque. Cela dura un temps infini. Dès que les bravos des spectateurs avaient tendance à faiblir, la claque repartait de plus belle, relançant le mouvement. À partir des coulisses, Lucius pouvait voir l’empereur contempler l’assistance en rougissant. Il avait l’air aussi surpris que ravi. C’était incroyable, mais c’était ainsi, il ne s’y attendait pas ! Il croyait réellement être un candidat comme les autres, qui avait le public à conquérir… Enfin, sur l’intervention du président du jury, les acclamations cessèrent non sans mal et on procéda au tirage au sort.
Les noms des participants avaient été déposés dans une urne et ils étaient tirés les uns après les autres, chacun devant concourir dans cet ordre, le plus avantageux étant d’être parmi les derniers. Bien entendu, le nom de Lucius Domitius Ahenobarbus sortit en ultime position, salué par les ovations des gradins.
L’empereur ne tarda pas à revenir dans les coulisses, en même temps que les autres. Le concours proprement dit allait commencer. Et, tandis que le premier concurrent montait sur scène sous les sifflets et les quolibets de la claque, il alla trouver Lucius, tout tremblant d’émotion.
— Tu avais raison, le peuple est vraiment impatient de m’entendre. Je ne pensais pas que c’était à ce point !
— Je te l’avais dit. Tu vois que tu n’as pas de souci à te faire.
L’empereur baissa la voix et lui désigna d’un geste de la tête un concurrent qui se tenait un peu plus loin. Il avait un type grec prononcé et n’était pas sans ressembler à Terpnus.
— Si. Il y a Hylas. Il a gagné les trois fois précédentes.
— Il ne gagnera pas ce coup-ci…
Le concours se poursuivit toute la journée dans l’indifférence générale, seule la claque se manifestant pour huer copieusement les prestations des concurrents. Le soir, l’empereur resta coucher dans sa propriété du Vatican et Lucius fut, lui aussi, logé sur place.
Le lendemain, il y avait beaucoup moins de monde dans le théâtre. Le passage de Néron n’étant prévu que vers le milieu de la troisième journée, il n’y aurait à entendre que des candidats ordinaires. Si la claque était fidèle au poste, aux places que lui avait assignées Tigellin, le reste des gradins était clairsemé. Néanmoins, ainsi que le règlement lui en faisait obligation, Néron était dans les coulisses et Lucius se tenait à ses côtés.
Le concours reprit. Bien qu’on ne soit encore que le matin, la chaleur n’avait pas faibli, elle était déjà accablante. Lucius se préparait à passer des moments fastidieux jusqu’au soir, mais l’attitude de l’empereur était si étonnante à observer qu’elle l’empêcha de s’ennuyer. Il avait totalement oublié son rang. Dévoré d’appréhension, il épiait ses adversaires, comme s’ils s’étaient trouvés dans une situation d’égalité avec lui. Il leur envoyait des malédictions, quand ils partaient concourir et il les accablait de sarcasmes, quand ils revenaient de leur récital sous les huées de la claque. À ce moment-là, il lançait invariablement, tout joyeux, à Lucius :
— Encore un qui n’aura pas le prix !
Vers midi, ce fut, pour lui, le moment le plus redouté : Hylas, le grand Hylas, allait concourir ! Lorsqu’il s’avança vers la scène, sa lyre à la main, Néron se précipita et, dans son dos, joignit ses deux index pour former une croix. C’était le geste de malédiction le plus terrible que puisse faire un Romain, celui par lequel il appelait sur son ennemi la mort immédiate. Néron, d’ailleurs, tint à s’en justifier auprès de Lucius :
— Je ne souhaite pas sa mort, mais seulement qu’il se produise quelque chose qui le fasse perdre…
Certainement prévenue par Tigellin, la claque accueillit l’arrivant par un chahut indescriptible. Le vacarme ne cessa pas lorsque Hylas se mit à chanter ou, du moins, essaya. Ce fut à un tel point que le président du jury monta sur scène pour réclamer le silence. Celui-ci s’établit avec difficulté et, après un dernier accord de lyre, Hylas se fit entendre.
Dans les coulisses, Lucius en resta stupéfait. Si une voix méritait le qualificatif de divine, c’était bien celle-là ! Elle était à la fois ample
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