l'incendie de Rome

siège d’une ville, mais il imaginait que c’était ce bruit que devait faire le bélier lorsqu’il était lancé contre les portes de bois et de bronze. Tigellin fit alors un troisième geste, libérant les applaudisseurs à mains plates. Cette fois, c’était encore autre chose. Ceux-ci ne respectaient aucune mesure, frappant sans s’arrêter, dans un déferlement incessant. Le son produit, plus aigu, avait quelque chose de fracassant. C’était comme si on s’était trouvé au milieu d’une nuée d’insectes s’acharnant sur vous. Quant à la superposition des trois, les mots manquaient pour la décrire. Elle avait des allures d’éruption volcanique ou de tremblement de terre… Le préfet du prétoire laissa le cataclysme se poursuivre quelque temps, puis fit un dernier geste et tout s’arrêta d’un coup. Il se tourna vers Lucius, l’air satisfait.
    — Alors, qu’est-ce que tu en penses ? C’est au point, n’est-ce pas ?
    — Tu ne crois pas que cela risque d’effrayer le reste du public ?
    — Pas du tout. Quand le théâtre sera terminé, il sera beaucoup plus grand. Je compte porter la capacité à quarante mille places. Dans ces conditions, le volume sonore sera tout à fait raisonnable.
    Lucius ne répliqua rien. D’ailleurs, le préfet du prétoire en avait terminé avec cette partie de son travail. Un chef de claque lui succéda pour poursuivre la répétition et lui-même quitta les lieux. Lucius le suivit. Ils se mirent à déambuler dans l’allée aux lauriers-roses, tandis que, dans le théâtre, le vacarme reprenait.
    — Tu as découvert autre chose depuis le rapport que tu m’as envoyé ?
    — Oui. Les chrétiens ne s’occupent que de religion. Pour le reste, ils prêchent l’obéissance aux lois de Rome.
    — Donc, ils ne représentent aucun danger ?
    — Aucun.
    — Où a eu lieu la réunion où tu t’es rendu ?
    Lucius hésita un instant, mais répondre ne serait pas trahir Délia et les autres. Après ce qu’il venait de dire, il savait que le préfet du prétoire n’entreprendrait rien contre eux.
    — Chez Paul, au croisement de la via Nomentana et de la via Salaria, dans un bâtiment qui devait appartenir à une caserne de gladiateurs.
    — Tu noteras tout cela dans un second rapport. Tu avais autre chose à me dire ?
    — Oui, j’ai été victime d’une nouvelle agression.
    Et Lucius raconta la tentative de meurtre dont il avait été l’objet. Il émit l’hypothèse que c’était peut-être le fait d’une organisation hostile aux chrétiens et aux juifs, sans parler toutefois de ce qui était arrivé à Délia. Cette fois, Tigellin se montra très préoccupé. Quand Lucius eut terminé, il hocha la tête pensivement.
    — On ne peut pas écarter cette hypothèse. Je vais lancer des recherches pour savoir si une telle organisation existe. Mais, à mon avis, ce n’est pas la bonne piste. Ce qu’on te reproche, ce n’est pas de voir les chrétiens, c’est de voir trop souvent l’empereur.
    — À qui penses-tu ?
    — À Pétrone ou à l’un des siens. Et je n’aime pas cela, car, à travers toi, c’est moi qui suis visé.
    Lucius repensa à Trimalcion, qui lui avait semblé si inquiétant derrière ses amabilités. Tigellin avait peut-être raison.
    — Qu’est-ce que tu me conseilles de faire ?
    — Rien, sinon d’être plus prudent encore et pas seulement dans les rues de Rome. Le palais est peut-être plus dangereux pour toi.
     
    Peu après, Lucius Gemellus prit cependant le chemin de la demeure impériale. Conformément à ce que venait de lui dire le préfet du prétoire, il avait l’intention de se rendre dans le bâtiment de l’Administration pour s’y enfermer toute la journée, mais le responsable de la garde qui veillait à l’entrée ne lui en laissa pas le loisir.
    — Gemellus, l’empereur désire te voir immédiatement dans ses appartements.
    — Il a retrouvé la voix ?
    — Je ne sais pas. Faut-il t’accompagner ou veux-tu t’y rendre seul ?
    Après ce qui venait de se passer, Lucius ne pouvait hésiter.
    — Je préfère qu’un de tes soldats vienne avec moi…
    Le scénario bien connu se répéta. Lucius arriva dans la salle décorée des deux fresques d’Apollon où une petite foule attendait d’avoir audience. Dès qu’on l’aperçut, ce fut la ruée. Il repoussa énergiquement les uns et les autres et se