l'incendie de Rome
les conséquences qui en résulteraient. Chacun eut à cœur de lui adresser des paroles apaisantes :
— Ne fais pas attention, Gemellus. Il dit n’importe quoi quand il a bu…
— Trimalcion est Trimalcion. On ne le changera pas !
Lucius, qui n’avait aucune intention de leur être agréable, se contenta de garder un air impénétrable, qui augmenta encore leurs appréhensions et, pendant un bon moment, tout le monde manga en silence. Tandis que les autres tables se répandaient en chants et en éclats de rire, la leur restait obstinément muette.
Lucius, de son côté, était envahi par la nostalgie. Non que l’ivresse se fut emparée de lui, il n’avait pratiquement rien bu, à la différence des autres convives qui, peut-être pour se remettre de leurs frayeurs, n’arrêtaient pas de se faire resservir. Non, il se sentait du vague à l’âme. Plus la soirée avançait et plus il pensait à Délia. Délia, avec qui il avait rendez-vous dans quelques heures, à l’autre bout de Rome. Mais à la vérité, ce n’était pas à l’autre bout de Rome, c’était dans un autre univers… Trimalcion finit par reprendre la parole :
— Quel est, parmi vous, le plus chaud partisan de notre empereur ?
Quelques réponses gênées et confuses lui firent écho. Tout le monde se méfiait des initiatives malheureuses du personnage. Nullement décontenancé, il poursuivit de plus belle :
— Eh bien, moi, je vais vous dire qui aime le plus notre empereur : c’est celui qui sait le mieux gaspiller !
Malgré la crainte qu’il commette une nouvelle bourde, chacun devint attentif, intéressé, malgré tout, par ce nouveau paradoxe.
— Quel est le problème de Rome ? C’est d’être trop riche. Nous sommes les maîtres du monde et, de partout, les richesses affluent chez nous. Gaspiller, c’est affirmer que la puissance de Rome n’a jamais été plus grande. Jeter, c’est crier « Vive Néron ! »
Joignant le geste à la parole, il se défit de la boucle d’oreille unique qu’il portait, un joyau en or et rubis, et la lança dans les eaux noires en criant :
— Longue vie à Néron ! Longue vie à Lucius Domitius Ahenobarbus !
Une dame de la tablée s’empara de son collier et fit de même. À sa suite, tous les autres l’imitèrent. Chacun précipita dans le lac Agrippa des bijoux de famille, des parures inestimables, en poussant de grands cris en l’honneur de l’empereur. Les autres tables ne voulurent pas être en reste et, rapidement, une fortune se trouva engloutie. Puis les convives, tant sous l’effet de l’ivresse que pour se rafraîchir, finirent par se jeter à l’eau eux-mêmes. Bientôt, presque la moitié des invités avaient disparu du radeau. Certains, qui ne savaient pas nager, appelaient à l’aide et les esclaves abandonnaient précipitamment leur service pour les secourir.
Lucius décida de quitter les lieux : il n’avait plus rien à faire ici et personne ne s’apercevrait de son absence. Les barques à bord desquelles les domestiques apportaient les plats faisaient sans cesse la navette avec les rives. Il sauta dans l’une d’elles et, peu après, il était à terre.
La courte nuit de juillet était déjà bien avancée, mais le jour n’était pas encore levé. Le moment d’aller retrouver Délia près de la via Nomentana n’était pas venu et il décida que le mieux, pour passer le temps, était de se mêler à la fête populaire. Après tout, il avait été invité sur le radeau de l’empereur, mais il faisait partie du peuple et il avait le droit aussi de partager le banquet qui lui était offert. Il avisa une place libre à une table. Un esclave lui apporta un morceau d’agneau rôti, un autre une coupe de vin et il se mit à manger de bon appétit.
Comme il se retrouvait au milieu du peuple de Rome, ses réflexes professionnels lui revinrent. Il serait intéressant de savoir ce que les gens pensaient du tour de chant de Néron, Tigellin le lui demanderait sûrement, à moins que ce ne soit l’empereur lui-même. Il n’eut même pas à lancer la conversation. Tout le monde ne parlait que de cela. Il n’eut qu’à écouter.
— On a passé un sacré moment, hier !
— Un sacré long moment, tu veux dire ! Je n’arrivais plus à me retenir !
— Tout de même, pour un empereur, il ne chante pas si mal.
— Pour un
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