l'incendie de Rome
empereur, oui, mais j’ai un esclave qui a une plus jolie voix…
— N’empêche que ce n’est pas Claude qui nous aurait donné une distraction pareille.
L’évocation de l’empereur défunt provoqua, comme chaque fois qu’il était question de lui, l’hilarité générale. Lucius écouta encore quelque temps les uns et les autres, mais les avis étaient à peu près unanimes. La popularité de Néron n’avait pas été entamée par le concours de chant. Bien au contraire, elle en ressortait grandie. Les Romains se sentaient honorés que l’empereur ait chanté pour eux. Mais pour ce qui était de ses qualités vocales, c’était autre chose. En fait, le jugement général rejoignait celui de Terpnus : l’empereur était moyennement doué, ce qui tendait à prouver que le peuple n’était pas si mauvais connaisseur…
Lucius avait terminé sa coupe de vin. Un esclave la lui remplit avant qu’il ait le temps de réclamer quoi que ce soit. Il se préparait à boire de nouveau, sans crainte particulière : il n’était pas à la cour, il n’avait plus de précautions à prendre. Mais une pensée le traversa : qui lui avait dit que ses ennemis étaient à la cour, à part Tigellin ? En fait, les agressions dont il avait été l’objet s’étaient passées dans les rues de Rome, pas au palais.
On buvait beaucoup autour de lui et les premiers éclats de voix avinées se faisaient entendre. Bientôt, ce seraient des altercations, voire des rixes. Quel moment serait plus indiqué pour une agression ? Dans la confusion qui régnerait alors, des hommes qui se jetteraient sur lui ne provoqueraient aucune surprise. On penserait à une querelle d’ivrognes et il se retrouverait percé de coups sans que personne s’en émeuve… Lucius repoussa sa coupe de vin et se leva brusquement. Il ne devait pas rester ici !
Il était décidé à gagner le logis de Paul et à attendre le lever du jour dans ce quartier tranquille où il pourrait facilement surveiller d’éventuelles allées et venues, lorsqu’il s’intéressa de nouveau aux conversations autour des tables. Le sujet avait changé : on ne parlait plus du tour de chant de Néron, mais de la surprise de Tigellin, qui n’allait pas tarder. Lucius, qui était resté tout le temps avec l’empereur, n’avait pas été associé aux préparatifs de la fête et il n’avait pas la moindre idée de ce dont il s’agissait. Il préféra donc rester encore un peu pour satisfaire sa curiosité.
Se promenant sur les berges, non sans omettre de regarder à droite et à gauche et de se retourner de temps en temps, il remarqua qu’étaient disposés de place en place de petits kiosques fort curieux. Ils étaient de forme ronde, un peu plus hauts que la taille humaine et en métal doré, avec des plaques pleines qui empêchaient de voir l’intérieur. Devant, se tenait un esclave porteur d’une clé. Il s’approcha de l’un d’eux.
— Alors, cette surprise, c’est pour bientôt ?
— Cela ne va pas tarder.
— Tu ne veux pas me dire ce que c’est ?
— Non, l’ami, sinon, ce ne serait plus une surprise…
Ce fut à ce moment-là qu’un cri s’échappa du kiosque :
— Lucius !…
Il n’y avait pas de doute : c’était la voix de Délia. Il se jeta sur l’esclave. L’homme voulut résister, mais il n’était pas de taille contre la rage et l’anxiété du jeune homme. Lucius le bouscula, s’empara de sa clé et, l’instant d’après, ouvrait la porte… Il recula sous l’effet de la surprise et de l’émotion. Délia était là, devant lui, entièrement nue, les cheveux défaits et l’air hagard.
— Que t’est-il arrivé ?
— Va chercher quelque chose pour me couvrir, je t’en prie !
Il y avait des voiles de couleur accrochés de place en place aux auvents, pour donner plus de gaieté à l’ensemble. Il s’empara du premier qui lui tomba sous la main, d’un bleu lumineux, et le tendit à la jeune femme, qui s’en revêtit vivement. Il répéta sa question :
— Que t’est-il arrivé ?
Délia n’eut pas le temps de répondre car, au même instant, ce fut une véritable émeute. Est-ce parce qu’on avait vu Lucius ouvrir le kiosque ou bien le moment était-il arrivé ? Toujours est-il que les autres esclaves porteurs de clés ouvrirent tous les kiosques en même temps, provoquant des cris de stupeur dans la
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