l'incendie de Rome
personnes, des soldats pour la plupart, ainsi que quelques civils, à la tête desquels l’empereur. Un groupe de porteurs de torches les précédait pour leur ouvrir le chemin dans la nuit noire. Tigellin, qui s’entretenait jusque-là avec Néron, le quitta. Lucius en profita pour se porter à sa hauteur.
— Peux-tu me dire ce qui se passe ?
— Un émissaire est venu prévenir l’empereur. Le feu a pris à Rome, un peu avant minuit, près du Circus Maximus.
— Qu’est-ce que tu dis ?
— Dans un magasin d’huile, à ce qu’il paraît…
— Et c’est grave ?
— Très…
Lucius continua à galoper vers la capitale, rongé d’angoisse. L’incendie était redouté de tous les marchands du quartier, il n’y avait rien de plus inflammable que l’huile et les tissus. Ses parents avaient-ils pu s’échapper ? Il n’osait le reconnaître, mais, avec le vent et la chaleur qu’il faisait, les chances étaient très minces, pour ne pas dire inexistantes. Et Délia, était-elle saine et sauve ? Si cela se trouvait, elle n’était même plus en vie au moment où s’était déclaré le sinistre. Elle était morte, victime du prêtre de Vénus Cloacine, en le maudissant de l’avoir abandonnée.
L’empereur et sa suite arrivèrent sur place aux premières heures de la matinée et ce qu’ils découvrirent dépassait leurs pires appréhensions. Tout le sud de la ville était en feu. Le nuage de fumée était tel qu’on ne voyait plus rien et qu’il fallut reculer. Pour pénétrer dans Rome, la petite troupe fut obligée de faire un large détour et d’entrer par le nord-est. De là, Néron et ses hommes tentèrent de gravir les pentes du Palatin où se trouvait le palais. C’était là que les attendait l’horreur.
Pénétrant pour la première fois dans l’incendie, au lieu de le contourner, ils eurent l’impression d’être sur un champ de bataille, en face d’une armée de géants. Des explosions retentissaient de tous côtés. Plus encore que la chaleur, c’était le bruit qui était terrifiant. Avec un hurlement continu, des projectiles incandescents tombaient autour d’eux en sifflant. La fumée était si brûlante et si âcre que, d’évidence, la respirer un peu plus longtemps aurait été mortel. Personne ne donna l’ordre de la retraite. Les chevaux terrorisés firent demi-tour tous en même temps, avec des hennissements d’épouvante.
Le hasard plaça Lucius côte à côte avec l’empereur. Son visage était devenu un masque tragique. Peut-être pensait-il à toutes les œuvres d’art qui étaient parties en fumée. Si les statues de marbre avaient quelque chance de survivre au désastre, celles de bronze étaient en train de fondre. Et que dire des manuscrits précieux qu’il avait fait venir du monde entier pour sa bibliothèque, des vases, des tableaux et des fresques, comme celles des deux Apollon qui ornaient l’antichambre ? Mais peut-être Néron pensait-il aussi à tous ses sujets qui avaient connu une mort atroce. Parmi ceux qui l’avaient acclamé au concours, combien étaient encore en vie ? Lucius, lui, pensait à ses proches. Tandis qu’ils dévalaient le Palatin en direction de l’autre rive du Tibre, il revoyait la petite chambre où il avait passé son enfance et sa jeunesse. Il souhaita que ses parents n’aient pas souffert, que le feu les ait surpris et emportés en quelques instants.
Le groupe des cavaliers passa près du Forum. Là aussi, l’incendie faisait rage. Un immeuble de cinq étages s’écroula avec un fracas de fin du monde. Une pluie de grosses pierres vola autour d’eux. Plusieurs d’entre elles frappèrent l’homme et la monture qui se trouvaient devant Lucius, les transformant en un amas de chair sanglante. Il eut la vision fugitive de l’appartement de Délia, avec ses fleurs et son balcon. Il espéra qu’elle non plus n’avait pas souffert. Quant à lui, il n’éprouvait rien encore. Il était dans l’action et, dans l’action, il n’y a pas place pour les sentiments. La douleur ne vient qu’après.
La cavalcade ne s’arrêta que dans la demeure du Vatican, qui allait devenir une nouvelle fois la résidence impériale. De l’autre côté du Tibre, on ne craignait rien de l’incendie et c’était là que, son palais ayant brûlé, Néron avait décidé de s’installer.
Flavius Sabinus, le préfet des
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