L'inconnu de l'Élysée
cadeau, avec le négatif. »
Et Jacques Chirac de reprendre en leitmotiv son refrain anti-Front national :
« Il est peu de choses qui me choquent, mais je ne supporte vraiment ni la xénophobie ni le racisme. Si je suis souvent sévère avec les Israéliens, c'est à cause de leur politique. Pour autant, je ne tolère pas le racisme, l'antisémitisme : c'est dans mes gènes, je suis né comme ça. »
Le président en vient tout naturellement à évoquer l'élection de 1988, quand s'est posée avec le plus d'acuité la question d'une alliance avec le Front national qui avait obtenu 14 % des voix au premier tour, quand lui-même n'en recueillait que 20 % et que Mitterrand menait avec 34 %.
« Oui, même Édouard Balladur, avec qui j'étais très lié à l'époque, a essayé de me convaincre qu'il fallait “moyenner” avec Le Pen d'une façon ou d'une autre. Et je lui ai dit : “Cela, Édouard, jamais ! On perdra peut-être les élections, mais, si on les perd, ce ne sera pas pour cette raison-là.” J'ai été l'objet d'une forte pression qui n'était pas dépourvue de sens sur le plan politique, même si elle était inacceptable sur le plan moral. Je pouvais comprendre que certains nourrissent cette idée-là. Dans la majorité – enfin, dans l'ex-majorité, autrement dit à droite –, c'était surtout Pasqua qui voulait me faire prendre contact avec Le Pen afin qu'on passe un accord avec lui. Pasqua m'a cassé les oreilles pendant des années pour que je rencontre Le Pen et m'entende avec lui. Et puis Balladur n'arrêtait pas de me rabâcher : “Jacques, on va perdre les élections si on ne trouve pas moyen de nous accorder avec l'extrême droite.” Ce sont ces deux-là, Pasqua et Balladur 11 , qui en faisaient le plus pour me convaincre, l'un s'y prenant avec plus de subtilité que l'autre, mais il s'en trouvait pas mal d'autres pour être favorables à un tel pacte. J'étais alors beaucoup critiqué. J'estimais que c'était là un raisonnement que l'on pouvait soutenir politiquement, mais le problème était qu'il n'était pas moralement défendable. Quand on fait de la politique, il ne faut certes pas être trop bégueule, mais il y a des limites qu'on ne peut franchir sur le plan des principes. Or un accord, quel qu'il soit, avec le Front national, était pour moi au-delà de la limite à ne pas franchir […]. On m'a accusé de bien des choses, mais on ne saurait contester mon attitude à l'égard de l'extrême droite.
– Éric Zemmour affirme qu'entre les deux tours des élections de 1988 vous avez rencontré Le Pen à deux reprises : une première fois chez Bénouville, une seconde fois chez un ami de Pasqua, près de l'Étoile ; mais que vous auriez refusé de passer un accord politique avec lui…
– Je suis sûr et certain que je n'ai pas rencontré Le Pen chez Bénouville. En revanche, il n'est pas impossible que Pasqua, qui m'a tant tarabusté pour que je rencontre Le Pen, l'ait introduit alors que nous étions réunis pour discuter. De toute façon, ça n'est pas allé plus loin… »
Les journalistes et tous ceux qui se disent proches de Jacques Chirac décrivent alors un homme abattu, déprimé, qui se pose maintes questions et ne croit plus en son avenir. On dénonce sa fragilité. Des amis le lâchent : « Je l'avais idéalisé, Chirac… Je considérais que c'était quelqu'un de dur, de fort, de solide… Je crois que c'est à ce moment-là que j'ai été déçu », explique aujourd'hui Charles Pasqua 12 .
Les mots « états d'âme », « déprime », « coup de blues » n'ont pas cours chez les Chirac. Le président balaie d'un revers de main ces balivernes, comme font sa femme et sa fille, lesquelles se souviennent que leur mari et père était, après 1988, d'une humeur de chien, non pas parce qu'il se sentait déprimé, mais parce qu'il avait arrêté de fumer ! Et Bernadette de rapporter une anecdote qui la fait encore beaucoup rire. Jacques Chirac lui ayant annoncé qu'il allait lui confier « quelque chose sur sa vie privée », il l'interpelle un peu plus tard.
« Avez-vous remarqué quelque changement dans ma vie courante ?
– Non, je n'ai rien remarqué, répond Bernadette.
– J'ai arrêté de fumer, et ma propre femme ne s'en est même pas rendu compte ! »
« Il était absolument hors de lui ! continue Mme Chirac. Mais la déprime, le vague à l'âme, non ! Ce sont là des mots de journaliste. Il a vite recommencé à
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