L'inconnu de l'Élysée
retrouvera face à François Mitterrand, le 28 avril 1988, dans un duel télévisé, après avoir fait un piètre score au premier tour de l'élection présidentielle (19,94 % contre 34,09 % à son adversaire). Tous les analystes ont vu là le tournant de la campagne.
À propos de la libération de l'interprète iranien, Mitterrand lance devant les caméras à Chirac : « …Je suis obligé de dire que je me souviens des conditions dans lesquelles vous avez renvoyé en Iran M. Gordji après m'avoir expliqué, à moi, dans mon bureau, que son dossier était écrasant, et que sa complicité était démontrée dans les assassinats qui avaient ensanglanté Paris à la fin de 1986. Voilà pourquoi je trouve indigne de vous l'ensemble de ces insinuations [sur l'amnistie accordée à des terroristes alors que la gauche était encore au pouvoir]. »
Riposte de Chirac : « …Est-ce que vous pouvez dire, en me regardant dans les yeux, que je vous ai dit que nous avions les preuves que Gordji était coupable de complicité ou d'action dans les actes précédents, alors que je vous ai toujours dit que cette affaire était du seul ressort du juge, que je n'arrivais pas à savoir […] ce qu'il y avait dans ce dossier, et que, par conséquent, il n'était pas possible de dire si, véritablement, Gordji était ou non impliqué dans cette affaire ? Et le juge, en bout de course, a dit que non […]. Pouvez-vous vraiment contester ma version des choses en me regardant dans les yeux ? »
Mitterrand : « Dans les yeux, je la conteste ! Lorsque Gordji a été arrêté et lorsque s'est déroulée cette affaire de blocus de l'ambassade, avec ses conséquences à Téhéran, c'est parce que le gouvernement nous avait apporté ce que nous pensions être suffisamment sérieux : comme quoi il était un des inspirateurs du terrorisme de la fin 1986. »
Les deux hommes étaient probablement sincères. L'un, Chirac, « n'était au courant de rien. Quand Mitterrand le mouche, il est perdu, mais de bonne foi », explique l'ex-juge Marsaud. Quant à l'autre, Mitterrand, il avait été tenu au courant par Gilles Ménage, lequel rencontrait assidûment les juges Marsaud et Boulouque qui suivaient l'affaire.
La libération des otages (Marcel Carton, Marcel Fontaine, Jean-Paul Kaufmann), le 4 mai, soit quatre jours avant le second tour de la présidentielle, n'efface pas la contre-performance de Jacques Chirac qui n'obtient que 45,98 % des voix. Pas étonnant que cette affaire des otages lui ait laissé un bien mauvais souvenir.
« Connaissiez-vous, dès cette époque, le rôle de Marchiani dans cette histoire ?
– Depuis cette époque, je n'ai cessé de dire à Pasqua qu'il n'était pas fréquentable et qu'il racontait des bobards. J'ai pu vérifier que dans toutes les histoires d'otages où il s'est attribué un rôle, c'était largement bidon. J'ai eu un grand tort dans ma vie. Un jour, Pasqua m'a demandé comme un service personnel de nommer Marchiani préfet du Var. Je me suis laissé faire, et je le regrette.
– J'ai travaillé sur cette affaire des otages 8 . Je suis persuadé qu'il vous a mené en bateau…
– Absolument… En fait, il ne m'a pas mené bien loin, car je ne l'ai jamais cru… Tout ce qu'il a raconté sur les otages était dépourvu du moindre fondement. Mais il avait le génie de l'esbrouffe… Lorsque deux pilotes français ont été abattus en Serbie à l'automne 1995, j'ai téléphoné à cet affreux de Milosevic. J'ai tout fait pour les libérer. On a monté une opération. Marchiani, de son côté, s'agitait déjà. Finalement, j'obtiens de Milosevic qu'il nous restitue les deux pilotes. Milosevic exige néanmoins qu'ils soient rendus à un militaire de haut rang. J'accepte que ce soit le chef d'état-major, en grand uniforme. Lequel part à bord d'un avion du GLAM pour récupérer les deux détenus. Qui trouve-t-il, débarqué juste avant lui sur le tarmac ? Marchiani !
– Il a réalisé la même opération avec Kaufmann : ce n'est pas lui qui l'a libéré…
– Je sais bien que ce n'est pas lui qui a libéré Kaufmann !
– C'est le cheikh Zein, à Dakar, qui a tout organisé, et Marchiani ne s'est manifesté qu'à la fin…
– Oui, absolument, c'est tout à fait exact. Dans l'affaire des otages, Pasqua était pendu à mon téléphone. Vingt fois, cinquante fois, cent fois je lui ai répété que ce Marchiani disait n'importe quoi, que tout ce qu'il racontait était faux.
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