L'inconnu de l'Élysée
Conseil de sécurité et l'Allemagne, membre temporaire. Chirac va également recevoir l'appui du Brésil et du Chili, eux aussi alors membres temporaires du Conseil. « Deux présidents qui ont eu beaucoup de mérite, car ils étaient l'objet de constantes pressions de la part des Américains. J'avais le président du Chili trois fois par jour au téléphone », se souvient Jacques Chirac.
Le 14 février 2003, jour où les inspecteurs remettent leur rapport, Dominique de Villepin prononce devant le Conseil de sécurité de l'ONU un vibrant discours qui a été jusqu'à la dernière minute travaillé, corrigé à l'Élysée, et finalement salué par une standing ovation.
« Dans ce temple des Nations unies, nous sommes les gardiens d'un idéal, nous sommes les gardiens d'une conscience. La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c'est un vieux pays, la France, un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. »
Poussé par son administration, Dominique de Villepin pense alors que la position de Paris ne pourra être maintenue au-delà du 14 mars, et que la France rejoindra alors les États-Unis. Ce flottement a laissé une trace. Le 17 février, à Bruxelles, lors d'un Conseil européen informel, Villepin confie en effet, lors du déjeuner, devant des journalistes, qu'après le 14 mars « the game is over » . Quelques heures plus tard, lors de la traditionnelle conférence de presse, les propos de Villepin, rapportés à Chirac par un journaliste, provoquent une réaction musclée du président : « Je vous interromps pour vous dire que cette information est dépourvue, et je le dis devant lui, est totalement dépourvue du moindre fondement. Elle ne mérite donc aucune espèce de commentaire, car elle est fausse. »
Ce fut ce soir-là le premier d'une longue série d'éclats. Jacques Chirac avait en effet été fort énervé par la publication, le 30 janvier, de la lettre initiée par Tony Blair, cosignée par quatre membres de l'Union, paraphée également par trois candidats (Pologne, Hongrie, République tchèque) à l'entrée dans l'Union, puis la déclaration des Dix du groupe de Vilnius 11 , ces deux textes soutenant la position américaine à propos de l'Irak. Concernant la lettre de Blair, il déclare alors qu'elle est « contraire à l'idée d'une politique étrangère européenne commune ». À propos de la déclaration de Vilnius, il estime que les pays candidats « se sont comportés avec une certaine légèreté. Car entrer dans l'Union européenne, cela suppose tout de même un minimum de considération pour les autres, et un minimum de concertation. Si, sur le premier sujet difficile, on se met à donner son point de vue indépendamment de toute concertation avec l'ensemble dans lequel, par ailleurs, on veut entrer, alors ce n'est pas un comportement bien responsable ! En tout cas, ce n'est pas très bien élevé. Donc, je crois qu'ils ont manqué une bonne occasion de se taire ». Et il achève sa condamnation par ces mots : « Ces pays ont été, je dirai, à la fois, disons le mot, pas très bien élevés, et un peu inconscients des dangers que comportait un trop rapide alignement sur la position américaine ! »
Aujourd'hui, le président regrette « l'intervention peu glorieuse » où il a « engueulé les Européens » : « Je dois dire que cela m'a un peu échappé en conférence de presse, à Bruxelles, mais je venais d'apprendre que les nouveaux Européens, essentiellement les Polonais et deux ou trois autres, venaient de recevoir une lettre de Blair dont je n'avais pas été informé, et, sans la moindre concertation, avaient répondu dans le quart d'heure suivant qu'ils étaient d'accord, qu'ils soutenaient la position de Blair… J'aurais mieux fait moi-même de mesurer mes propos, c'est évident, mais mon idée n'était pas de les injurier, mais de leur dire que ce n'était pas normal, dans une affaire où
Weitere Kostenlose Bücher