L'inconnu de l'Élysée
dans Le Quotidien de Paris 2 , un article intitulé « Un “maître à vivre” », commençant par : « C'est un incomparable témoin de notre temps qui vient d'accéder à l'au-delà de la vie, laissant une impérissable “cicatrice sur la face de la Terre”. » Puis cet article retient pour thème la « méditation sur la mort » que Malraux n'a jamais interrompue : « C'est l'obsédante pensée qui traverse toute sa vie. La mort, il l'a regardée en face sans broncher. »
J'ai eu la curiosité de lire le long discours qu'a prononcé le président de la République, le 23 novembre 1996, pour le transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon. J'ai d'emblée été frappé par le souffle qui parcourt ce texte et j'ai beau savoir que Jacques Chirac, comme ses prédécesseurs, emploie des « nègres » pour rédiger ses discours, j'ai pensé que celui-ci avait néanmoins dû faire l'objet de toutes ses attentions. Il m'a semblé qu'au-delà de la passion pour les arts asiatiques et africains qu'il partageait avec lui, et malgré les réserves que lui inspirait le personnage, il en avait brossé un portrait auquel il avait mêlé quelques bribes de lui-même, de ses angoisses et de ses interrogations. En voici quelques extraits :
« Vous êtes l'homme de l'inquiétude, de la recherche, de la quête, celui qui trace son propre chemin […]. Dans vos conversations avec les poètes et les peintres cubistes, vos amis, vous étiez déjà celui qui interroge âprement notre condition […]. Votre rapport à l'art, qui est sans doute la pierre angulaire de votre vie, n'est qu'une longue interrogation. Votre première femme, Clara, vous montre, à 20 ans, dans les musées de Florence, courant vers le beau, comme, écrit-elle, “si vous étiez en danger”, avide de voir, de comparer, d'imaginer, de trouver votre monde […]. Cette richesse, cette quête font de vous l'homme de l'aventure, de l'ouverture au monde, et donc de la tolérance et du respect de l'autre. Votre intimité avec toutes les cultures, votre façon si neuve de faire dialoguer entre eux les arts du monde, par-delà les frontières et les époques, vous consacre citoyen de l'Intemporel, un Intemporel qui est nécessairement fraternel.
« Vous avez eu très tôt l'intuition que c'est la comparaison, la confrontation des œuvres, statue Maya, fétiche du Dahomey, masque nô ou buste grec, qui permet de les comprendre, de les ressentir, de les transformer […]. Quand on aborde les arts de partout avec cette liberté intérieure, cette compréhension intime et cette infinie curiosité […], il ne peut y avoir que reconnaissance pour les peuples, et des peuples qui les ont créés […]. “Le fétiche, avez-vous écrit, ne balbutie pas la langue des formes humaines, il parle la sienne.” Dans cette approche il y a du respect, de l'humilité, à mille lieues de l'ignorance et de l'arrogance qui ont voilé si souvent le regard de l'Occident. […] Vous êtes, André Malraux, en prise directe sur le monde. Vous allez être de ceux qui prennent en charge l'injustice du monde.
« Personne n'a, avec plus d'éloquence, défendu l'idéal de justice et chanté la fraternité. En Indochine, au cours d'un séjour qui est d'abord forcé, vous découvrez les différences de traitement selon que l'on est indigène ou européen, un droit qui n'est pas égal pour tous, parfois l'humiliation, parfois la violence, tout simplement les mille visages de la bêtise ordinaire.
« […] Vous allez prendre les armes de l'Espoir aux côtés des Républicains espagnols. C'est le temps de l'escadrille España, dont vous êtes l'âme. C'est le temps des quelques Bréguet, Potez et Douglas que vous avez pu rassembler, parfois si mal équipés qu'il faut larguer les bombes à la main. C'est la destruction, à Medellin, de la colonne franquiste, ce qui contribue à défendre Madrid pour un temps. L'attaque de Teruel, le secours porté aux réfugiés de Malaga. C'est le courage physique et c'est la fraternité comme réponse aux vertiges de l'absurde.
« […] Nul solitaire, André Malraux, n'a chanté mieux que vous ce qui unit les hommes au point de donner à leur vie, même fugitivement, sens et direction. […] Ce qui vous habite, c'est la recherche de l'efficacité qui marque votre relation avec le communisme, dont vous appréciez l'organisation et la discipline face au nazisme. Mais c'est surtout le sens de la responsabilité. “Quand on a écrit ce que
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