L'inconnu de l'Élysée
quelque chose, son père disait : “Tais-toi, mon pauvre petit, tu n'y connais rien !” Jacques Chirac avait alors plus de 20 ans… »
Des témoins de la jeunesse du chef de l'État soulignent l'impact dévastateur de tels propos, qui semblent n'avoir pas été accidentels. Michel Basset, un des fils de la meilleure amie de sa mère, qui a bien connu Jacques dans son enfance, cite de nombreux exemples d'une rudesse souvent humiliante 1 : « Jacky guette avec des yeux d'enfant battu l'approbation d'un père qui le domine de sa haute taille, un père inaccessible et intransigeant. » Le même Basset, qui a manifestement écrit son livre dans l'intention délibérée de faire mal à son ancien camarade d'enfance, atténue néanmoins, sans le vouloir, ses propos en parlant d'un père volontiers sarcastique devant lui, mais qui ne tarit pas d'éloges derrière lui, par exemple sur sa mémoire : « Il lui suffit de jeter à peine un regard sur un texte pour en retenir l'essentiel. »
Bernadette Chirac donne une explication de la sévérité de son beau-père : « Ma belle-mère le gâtait tellement qu'il fallait bien que mon beau-père redresse la barre et compense… Le travail était pour lui une vertu cardinale. » François Chirac voulait que son rejeton réussisse, il exigeait qu'il travaille bien, qu'il apprenne par cœur. Il aurait voulu que son fils devienne gouverneur de la Banque de France. « Tout ce qu'on raconte sur l'ambition politique de mon mari dans sa jeunesse est grotesque », conclut Mme Chirac. Laquelle rapporte que son beau-père aurait bien aimé appliquer son intransigeance à ses petites-filles, Laurence et Claude, et réclamait même leurs carnets de notes. Pour atténuer l'austérité du portrait, l'épouse de Jacques Chirac souligne néanmoins que le père de ce dernier était volontiers généreux, drôle, et pouvait déclamer des textes en grec et en latin…
Comprenant mes interrogations sur la nature réelle des sentiments de son mari à l'égard de son père, elle me remettra, lors de notre second entretien, une lettre envoyée le 20 juin 1956, d'Algérie, par Jacques Chirac à son géniteur, pour la fête des pères : « Avec deux jours de retard, je viens te souhaiter la fête des pères. Malgré un maximum de bonne volonté, il m'a été impossible d'écrire avant […]. Je repars du reste tout de suite, mais je n'ai pas voulu encore passer 24 heures, peut-être plus, sans te témoigner mon affection […]. Embrasse Maman pour moi. Je t'embrasse très affectueusement. » Et Bernadette Chirac de commenter : « Mon mari l'aimait beaucoup. »
Elle se montre encore plus loquace sur Marie-Louise Chirac, sa belle-mère, que sur son beau-père : « Une femme extraordinaire, toujours en train de rendre service, très bonne cuisinière, un vrai personnage. Physiquement, il ressemble à son père, mais il tient beaucoup de sa mère, qui était d'une grande bonté, d'une grande ténacité, et qui avait un culot formidable ! Ma mère avait été soufflée quand la mère de Jacques Chirac lui avait fait remarquer que son fils aurait pu faire… un bon mariage ! “Je vous l'ai élevé, mon fils”, me disait-elle. »
Elle me conte une anecdote qui illustre le côté hyperprotecteur de la mère du futur chef de l'État. Celui-ci préparait alors l'ENA chez ses parents, au 95, rue de Seine. De passage dans le quartier, Marguerite Basset, la meilleure amie de Marie-Louise, décide de monter la saluer. Elle sonne à la porte. Marie-Louise, vêtue d'une blouse blanche, ouvre :
– Ah, Marie-Louise, je passais et suis venue vous dire un petit bonjour…
– Vous n'êtes pas enrhumée, au moins, ma chère Marguerite ?
– Non ! répond, surprise, Mme Basset.
– Alors, rentrez cinq minutes au salon… Je ne veux pas de microbes dans la maison, car Jacques prépare ses examens… »
Jacques Chirac était resté très attaché à sa mère et lui téléphonait souvent. Bernadette Chirac se souvient de vacances à Sainte-Féréole, alors que son mari était militaire en Algérie. Sa belle-mère l'emmenait au cimetière et, au pied du caveau familial, pleurait en pensant à son Jacky.
Elle se souvient aussi de l'immense chagrin de son mari quand sa mère est décédée : « Il était alors ministre de l'Agriculture. À la fin de l'été 1973, ma belle-mère, très malade, était à Bity. Mon mari est venu passer 24 heures avec nous. Puis il repart pour Paris,
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