L'inconnu de l'Élysée
Celle-ci a trop prêté et n'a pu résister aux faillites en chaîne d'importants clients. Elle est mise en liquidation le 26 février 1932 et va renaître un peu plus tard, avec de nouveaux capitaux, sous le nom de BNCI, laquelle va reprendre, le 16 janvier 1933, Abel Chirac au très envié poste de directeur de l'agence de l'avenue de la Grande Armée. C'est là que va se nouer son destin et, largement, celui de son fils…
Non seulement il gagne très correctement sa vie – il va dès lors emmener sa femme et le petit Jacky en vacances à Cannes ou à Biarritz –, mais il va faire la connaissance et devenir proche de deux importants clients : les avionneurs Henry Potez et Marcel Bloch.
Amis de longue date, Potez et Bloch sont de vieux complices. Animés par la même passion, ils se sont connus à SUPAERO et se sont retrouvés pour effecteur leur service militaire au laboratoire de Chalais-Meudon. Potez avait déjà conçu et fait breveter un projet d'avion métallique. La guerre de 1914 survient. Les deux amis sont mobilisés et affectés à la construction aéronautique militaire : Marcel Bloch chez Louis Blériot 4 , qui dirige la Société pour l'aviation et ses dérivés (SPAD), Henry Potez chez Caudron, l'autre avionneur-constructeur. Les deux hommes se retrouvent rapidement car, après la bataille de la Marne, l'État leur a confié la mission de construire un avion de reconnaissance, le Caudron G3. Puis Marcel est muté et abandonne – provisoirement – Henry. N'ayant pas oublié les insuffisances des performances des hélices du G3, il en dessine une nouvelle et invente la technique du « lamellé collé » : l'hélice Éclair est née. Marcel crée alors la Société des hélices Éclair avec… Henry.
Dès 1917, les royalties tombant, les deux amis envisagent de construire leur propre modèle d'avion, et la société Anjou Aéronautique voit le jour avec le concours d'un troisième larron, Louis Coroller, sorti major de SUPAERO. À la veille de l'armistice, le 10 novembre 1918, Anjou Aéronautique livre le SEA IV, un biplace de chasse en passe d'être commandé à mille exemplaires. L'état-major ayant annulé ses commandes, Marcel Bloch délaisse l'aviation pour l'immobilier, cependant qu'Henry Potez et Coroller décident de se lancer de leur côté dans l'aviation commerciale et de tourisme…
Pendant dix ans, Bloch reste éloigné des tarmacs, mais la mort dans un accident d'avion, le 2 septembre 1928, de Maurice Bokanowski, ministre du Commerce et de l'Industrie, mais aussi de l'Aéronautique, va, par toute une série d'enchaînements, le faire revenir à ses premières amours. Tout le monde voit dans cet accident l'expression tragique de la grave crise que traverse alors l'aéronautique. Douze jours après, Raymond Poincaré, président du Conseil, crée le ministère de l'Air. Le radical-socialiste Laurent Eynac, ancien aviateur pendant la guerre, s'installe avenue Rapp, près du pont de l'Alma. Sa tâche s'annonce rude pour restructurer le secteur et produire des appareils plus fiables. Assisté de l'ingénieur Albert Caquot, Laurent Eynac décide de lancer une série de prototypes. Le décor est désormais planté pour faire revenir sur la scène de l'aéronautique un acteur disparu. Caquot se souvient en effet de l'ingénieur Bloch, rencontré pendant la guerre, et lui propose de réaliser un modèle d'appareil dans le cadre d'un programme de trimoteurs postaux. Les conditions sont intéressantes : l'État finance l'investissement à 80 %.
Laurent Eynac est bientôt remplacé par Paul Painlevé, puis, huit mois plus tard, par Pierre Cot, jeune et brillant avocat de la nouvelle génération des radicaux-socialistes. Une nouvelle page de l'histoire de la construction aéronautique s'ouvre avec cette nomination. Une page très radicale-socialiste, puisque Cot va s'appuyer en 1933, puis surtout en 1936-37, sur Henry Potez et Marcel Bloch, eux-mêmes radicaux-socialistes, pour restructurer de fond en comble l'industrie aéronautique et faire ainsi leur fortune.
Lors de la première arrivée de Cot au ministère de l'Air, les deux amis qui, tout en étant concurrents, développent une étroite collaboration, ont déjà entrepris une vaste opération de mécano industriel qui, dès 1934, va faire d'eux les patrons du plus important groupe français de construction aéronautique. C'est au cours de cette période (1933-34) qu'Abel Chirac surgit dans le paysage des deux avionneurs,
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