L'inconnu de l'Élysée
il était juste. J'avais de très bonnes relations avec lui, parce qu'il était juste. Je ne me suis jamais disputé avec lui.
– Vos carnets de notes n'étaient pas terribles. Comment y réagissait-il ?
– Il ne réagissait pas très bien, mais je me suis toujours débrouillé en faisant bouger la barre et en passant de justesse d'une classe à l'autre ; je n'ai jamais redoublé. Puis, au moment du bachot, je me suis dit : c'est sérieux ; là, il y a un objectif, et je me suis mis à bosser en première, et j'ai décroché le bac du premier coup avec mention assez bien. Avant, je passais d'une classe à l'autre en frôlant la moyenne, mais je n'ai jamais redoublé ni n'ai jamais eu à passer d'examen de rentrée. L'idée de travailler pendant les vacances m'était insupportable. Je faisais juste ce qu'il fallait pour ne pas avoir à travailler pendant les congés d'été. »
J'ai essayé à plusieurs reprises de le relancer à propos de son père, le sentant réticent, comme « bloqué » sur un sujet manifestement sensible. Il me redit que les relations qu'il avait avec lui étaient « excellentes sur le plan humain, mais fondées sur l'autorité… Mon père n'était pas homme à faire des confidences à son fils… »
Je lui rappelle qu'un certain nombre d'auteurs affirment que son père était radical et antigaulliste.
« Je n'ai jamais entendu mon père parler politique. Je ne l'ai jamais entendu s'intéresser aux problèmes partisans. Il était probablement de sensibilité radicale, mais, contrairement à son propre père, il n'a jamais milité… La religion ne lui posait aucun problème. Ma mère était catholique pratiquante, et j'ai été élevé dans ces idées ; cela n'a jamais posé de problèmes avec mon père. Quand il fallait aller à la messe, il y allait. C'était un tempérament ouvert et bienveillant. Il n'était antirien…
– Antigaulliste ?
– C'est absolument faux ! Tout ce dont j'ai gardé souvenir, c'est qu'il était absolument positif à l'égard du général de Gaulle pendant la guerre. »
Jacques Chirac revient sur sa propre relation avec son géniteur.
« C'était quelqu'un qui considérait qu'il y avait une hiérarchie dans la vie : le père, c'était le père, le fils, c'était le fils, et celui-ci n'avait qu'à obéir à celui-là. Cette conception n'est plus guère de mise de nos jours. À l'époque c'était comme ça, ça allait de soi, ça ne se discutait pas. »
Une autre fois :
« Je n'ai eu que de très bonnes relations avec mon père. C'était un homme froid et ferme, qui considérait que c'était lui le patron. J'avais beaucoup d'affection pour lui, ça me paraissait aller de soi. C'était mon père, et puis voilà… Ce qu'il disait ne se discutait pas. »
Et ses relations avec sa mère ?
« J'aimais beaucoup ma mère, qui m'a énormément gâté. Si vous interrogiez ses amies, elles vous diraient qu'elle m'a chouchouté, qu'elle était complètement gâteuse avec son fils, particulièrement quand je rentrais de l'école. Petit, pour m'inciter à faire mes devoirs, elle me donnait une sucette, et pour que je n'aie pas à l'ouvrir, elle la dépiautait elle-même du papier qui l'entourait… Ah, on peut dire que j'ai été gâté… Chaque fois que j'avais besoin de quelque chose, elle me l'offrait. Elle disait à ses amies : “C'est épouvantable, tous les chapeaux qui passent à satisfaire les fantaisies de Jacques !”
– Dans son livre, Conversation , votre femme évoque sa disponibilité aux autres et pense que cette ouverture vous a influencé…
– C'est vrai que ma mère était ouverte aux autres, mon père aussi, et cela n'a pas pu ne pas m'influencer… [Long silence.] En somme, j'ai été ce qu'on appelle un enfant bien traité. »
Bernadette Chirac, qui a bien connu les parents de son mari, et les vieux de Sainte-Féréole sont en mesure de compléter et affiner quelque peu les dires du président. Tous confirment la sévérité de François Chirac envers son fils, et l'affection quasi étouffante de sa mère.
L'épouse du président raconte que son beau-père était obnubilé par la guerre de 14-18 ; il évoquait constamment son calvaire dans les marais du Pripet et combien il était impossible d'imaginer ce qu'il avait enduré. « C'était un grand amateur de sport. Le dimanche après-midi, il écoutait les reportages sur les matchs de rugby. Il ne fallait pas souffler mot. Si d'aventure mon mari disait
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