L'inconnu de l'Élysée
Vincennes, comment il fut arrêté par les Allemands en 1943 : « Probablement à la suite d'une dénonciation », explique-t-il. Des Allemands avaient tenu à visiter l'hôtel de la Mer où Potez avait installé ses bureaux provisoires, ainsi que des salles de classe pour ses enfants et Jacques Chirac. La concierge avait refusé de les laisser entrer. Quelques jours plus tard, deux gestapistes s'étaient à nouveau présentés, ils avaient obligé Henry Potez à ouvrir son coffre et raflé tout son contenu, notamment des liasses de billets et les bijoux de sa femme, puis ils l'avaient embarqué jusqu'au siège de la Gestapo de Marseille, au 456 de la rue Paradis, et avaient dressé en sa présence l'inventaire du butin contenu dans le coffre. Il avait ensuite été interrogé, puis enfermé au huitième étage. Potez moisit là quelques jours. Sa femme vint plaider sa cause et invoqua les conséquences qu'un séjour prolongé en prison risquaient d'avoir sur son œil très enflammé… La Gestapo le libéra sous conditions et l'assigna à résidence au Rayol, moyennant des contrôles réguliers. Par ailleurs, les Allemands avaient ordonné à Potez et à sa femme de ne souffler mot à personne de ce qui venait de leur arriver.
– Si vous parlez, on vous coffrera, avaient-ils menacé.
Et Henry Potez de conclure son témoignage sur la guerre en évoquant Jacques Chirac : « Jacques a passé la guerre avec mes propres fils… Il était enragé, il ne voulait rien foutre, mais rien, rien ! Ça faisait le désespoir de ma femme… Quand il est revenu à Paris, ça a complètement évolué : non seulement il n'était plus besoin de le bousculer – avant, sa mère devait lui taper dessus pour le faire travailler –, mais, au contraire, il fallait qu'elle l'oblige à aller se coucher. Absolument cocasse, ce changement ! »
Henry Potez ne dit pas un traître mot des soupçons qui pesèrent sur lui à la fin de la guerre. Le siège de la société, au 10, rue Frédéric-Bastiat, fit pourtant l'objet d'une perquisition, le 15 novembre 1945. C'est François Chirac qui reçut le commissaire Jacques Perez y Jorba et qui appela immédiatement Potez pour qu'il vienne assister à la perquisition. Henry Potez ne précise pas davantage que le pillage de son coffre fit grand bruit à Vichy et que Bousquet, après en avoir parlé à Laval, effectua une démarche virulente auprès du général Oberg pour se plaindre du vol commis, le 11 septembre 1943, par des officiers allemands conduits par le Dr Ross. Cette lettre, datée du 15 octobre 1943 9 , décrit les valeurs, pièces d'or et bijoux, pour un montant pouvant être évalué à 30 millions de francs de l'époque 10 . Si la lettre ne se borne pas à évoquer le seul cas de Potez, il s'agit manifestement du plus important. Bousquet attache une telle importance à cette affaire qu'il met sa démission dans la balance : « Si la valeur de cette déclaration n'était pas admise par les autorités allemandes informées, je me déclarerais quant à moi dans l'impossibilité de défendre plus longtemps les intérêts dont j'ai la charge […]. Il [Laval] doit lui-même vous demander d'avoir le plus rapidement possible un entretien avec lui sur ce sujet. »
Un mois après la perquisition opérée au siège de la société, le 17 décembre 1945, François Chirac est auditionné : « En 1940, dans le courant de juillet, Potez a décidé de cesser toute activité industrielle et de se retirer sur la Côte d'Azur au Rayol ; le siège social y fut transféré, avec la direction et les archives… Potez fut à diverses reprises sollicité par les Allemands pour reprendre la direction de la SNCAN, qu'il avait quittée après l'armistice ; cela lui valut d'être surveillé par les Allemands et premièrement d'être convoqué, courant 1942, à la Gestapo, rue des Saussaies, sous prétexte de propagande anglo-saxonne, et, deuxièmement, d'être arrêté au Rayol par la Gestapo de Marseille, en septembre 1943, où, après une détention de 15 jours, il fut placé en résidence surveillée au Rayol… Les rapports avec les autorités allemandes ont été contraints et forcés, et réduits au minimum indispensable. »
Des documents contenus dans l'instruction classée en juin 1948, on peut déduire que Henry Potez était probablement bien vu à Vichy, qu'il n'a pas été un héros, mais que les « arrangements » qu'il avait pu conclure pendant la guerre étaient
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