L'inconnu de l'Élysée
débarquement de Provence : « Saisir l'ennemi à la gorge, fixer et maintenir sur place les forces allemandes qui défendent, face à l'est, le camp retranché de Toulon ». Voulant pouvoir disposer d'un port pour le 25 septembre, le commandement allié avait fixé le commencement des opérations de l'armée B à la fin août.
La 1 re DFL débarque le 16 août dans la rade de Cavalaire et campe dans une vigne entourée d'un champ de mines. Le 17 au matin, le regroupement de la division se poursuit autour de Gassin tandis que les véhicules sont « déwaterproofés » et que Brosset part reconnaître la future zone d'action de la division. Le général est convoqué à Cogolin par de Lattre qui lui confirme sa mission et fixe le début de l'offensive au 20 août. Dès le 19 au soir, la DFL entre au contact avec l'ennemi dont les points d'appui sont protégés par de larges champs de mines et des réseaux de barbelés. Les Allemands réagissent vigoureusement par des tirs d'armes automatiques et d'artillerie. L'assaut démarre le 20 août au petit jour, après une violente préparation d'artillerie. Au soir du 20, le général de Lattre déclare que « la place est dans la nasse ». Le 24, le général Brosset, seul en Jeep, traverse la ville de Toulon, mais la capitulation allemande n'intervient que le 28, après une dernière intervention de l'aviation.
« Le général Diego Brosset était un homme tout à fait remarquable, se remémore Jacques Chirac. Il fut l'un des premiers à arriver au Rayol. Je m'en souviens fort bien, car il est venu chez nous. Mon père l'accueillit aussitôt en compagnie de deux ou trois officiers… Comme on m'avait expliqué que les lieutenants arboraient deux galons, et comme il portait deux étoiles, je l'ai salué en lui donnant du “Mon lieutenant”… J'ai des lettres de lui – je ne sais plus où elles sont –, car il m'a écrit jusqu'à sa mort dans un accident de voiture 3 . Il les signait “Ton lieutenant”. Choqué par sa mort, j'ai décidé de lui rendre hommage à ma manière. La Casa Rosa était reliée à la route nationale par un chemin de terre. J'ai confectionné une pancarte en bois sur laquelle j'ai écrit à l'encre de Chine : Avenue du général Brosset , et je l'ai plantée sur le promontoire, à la jonction de notre chemin et de la nationale. Les gens prirent l'habitude de voir cette pancarte. Un jour, certains se sont demandés d'où elle venait, et ils ont interrogé la mairie. Le conseil municipal n'avait évidemment pris aucune délibération. Le préfet et le sous-préfet furent tout aussi incapables de dire d'où provenait cette appellation. Jusqu'au jour où le vieux maire de l'époque, Étienne Gola, fut à son tour questionné : “C'est le petit qui a fait cela…”, répondit-il sans barguigner. Il expliqua qu'il n'y avait eu en effet aucune délibération et que c'était moi qui avais, de mon propre chef, baptisé le chemin de terre “Avenue du général Brosset”. Du coup, devenu Premier ministre, j'ai été invité à inaugurer officiellement l'Avenue du général Brosset en présence des enfants du général. Ce que j'ai fait 4 . »
Encore rebelle – à son âge et à cette époque, on disait plutôt « galopin » –, le jeune Chirac (il a alors 13 ans), revenu en région parisienne, ne veut pas s'encombrer de chaussures et préfère les joies du lance-pierres à celles de la plume sergent-major. Il détourne une partie du temps qu'il devrait passer au lycée Carnot pour aller contempler des statues de Bouddha au musée Guimet. C'est le temps de l'école buissonnière évoqué au début du présent ouvrage. À partir de la première, cependant, son comportement change du tout au tout. Il décide de suivre le cursus normal du milieu où il évolue, c'est-à-dire de bosser dur et de passer haut la main ses examens. Apparemment, rien ne le distinguera plus de ses condisciples de lycée, puis de Sciences-Po, puis de l'ENA. Pourtant, grâce à une intelligence hors normes, il continuera, à l'abri des regards, à cultiver son jardin secret.
Pendant quelques années, il flirtera même avec la gauche. Malgré les chaussures aux pieds et le costume de l'étudiant sérieux et appliqué, le rebelle n'est jamais loin. Il pleure à la mort de Gandhi, s'initie à l'hindouisme, puis au bouddhisme, signe l'appel de Stockholm, aspire à devenir capitaine au long cours alors que son père veut qu'il entre à Polytechnique et décide de
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