L'inconnu de l'Élysée
au Canada en juin 40 et se retira ensuite au Rayol avec son patron jusqu'à la fin de la guerre.
La réalité est, comme souvent quand il s'agit de cette période, un peu plus complexe. Dans son témoignage posthume 6 , Henry Potez raconte qu'il a fait venir des pilotes à Méaulte pour qu'ils fassent décoller les vingt-quatre appareils qui étaient grosso modo en état de voler, alors que les chars allemands n'étaient plus qu'à quelques kilomètres. Les pilotes avaient reçu pour instruction d'atterrir sur la base d'Évreux, mais le colonel français qui dirigeait cette base leur refusa l'autorisation de se poser. Ils le firent donc dans des champs de blé. Les avions étaient relativement peu endommagés, mais il aurait fallu des engins de levage pour les sortir des champs. Les Allemands leur mirent finalement le grappin dessus. Potez raconte également qu'il est resté à la tête de la « Nord » jusqu'au 20 août 1940, date à laquelle il préféra démissionner plutôt que d'être démissionné – « pour ne pas être renvoyé comme un simple valet 7 » – et transmit ses pouvoirs à Rouzé, son chef de production, qui était disposé à prendre sa place.
Troubles de mémoire ou mensonge ? Les documents de la SNCAN et les enquêtes menées après la guerre dans le cadre d'une instruction pour atteinte à la sûreté de l'État contre la société Potez, classée sans suite le 16 juin 1948 8 , permettent de corriger les souvenirs de Potez. Le 27 avril 1940, décision est prise de transférer le siège de la société des Aéroplanes Henry Potez au Rayol. La décision entre dans les faits courant juin. L'usine de Méaulte a été évacuée le 17 mai et occupée par les Allemands le 23. L'ensemble du personnel se replie sur Angoulême où Potez fait aménager des carrières pour stocker les machines et les pièces. Effort vain, car les Allemands occupent ces carrières après l'armistice. Au conseil d'administration du 20 août, Potez non seulement ne démissionne pas, mais estime être en mesure d'obtenir des autorités allemandes la « libération » d'une partie des usines. Henry Potez est en relation avec la maison Messerschmitt qui voudrait parachever la fabrication des Potez 63 dont la Luftwaffe a besoin pour entraîner ses pilotes. Précisons que cette démarche a été effectuée à la demande du Comité d'organisation de Vichy qui cherche à maintenir l'emploi dans le secteur de l'aéronautique. Ce n'est que le 17 décembre 1940 que Bienvenüe Rouzé, le chef de production, est nommé président de la SNCAN, alors que Henry Potez en est encore administrateur. C'est au conseil d'administration du 13 février 1941 que Rouzé va donner connaissance de la décision du général Bergeret, secrétaire d'État à l'Aviation, datée du 2 février, de s'opposer au maintien de Potez dans ses fonctions d'administrateur.
Henry Potez et François Chirac (Abel Chirac a troqué son premier prénom pour François, le second) ont continué, depuis le Rayol, à s'occuper de la société Potez et de ses trois filiales industrielles installées en zone Nord. Chaque mois, un comité de direction réunit, à Paris ou au Rayol, les administrateurs de la société et les dirigeants des filiales (lesquelles ont livré des groupes électrogènes aux Allemands) sous la présidence de Henry Potez.
Si, dans son témoignage, ce dernier ne précise pas que ses filiales travaillaient pour l'occupant, il explique néanmoins qu'il se tient au courant de ses affaires installées en zone Nord ; quand ils obtiennent un laissez-passer, François Chirac et lui viennent à Paris, rue Frédéric Bastiat. Potez raconte également que, curieux de savoir, autrement que par les rapports de Rouzé, ce qu'était devenue l'usine de Méaulte, il décida un jour de s'y rendre : « J'ai été reçu par un directeur allemand. Cela m'a fait un drôle d'effet. C'était un brave type, un industriel qui avait été mobilisé. Il me déclara qu'il habitait la propriété. “C'est la mienne…, lui dis-je. – Je l'habite…” Il m'y conduisit en Jeep avec d'autres Allemands. Le type était correct et dit regretter que la cave – ma cave – eût été vidée avant son arrivée. Bien plus tard, alors que j'avais repris Fouga et que je construisais les Fouga Magister, il m'a été donné de revoir cet industriel allemand… »
Si Potez n'a jamais été inquiété par Vichy, il raconte en revanche, dans son témoignage déposé à
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