L'inconnu de l'Élysée
française” et le restais spontanément… Néanmoins, j'ai beaucoup crapahuté, et quelque chose me frappait, me froissait. Je me disais : “Ces gens, on leur fout le pied au cul sans beaucoup de discernement.” Ça n'allait pas beaucoup plus loin, cela ne remettait pas en cause mes convictions. Mais je n'étais pas tout à fait à l'aise à la vue des traitements qu'on faisait subir à ces Algériens… C'était un sentiment diffus… Je n'en tirais pas de conséquences. »
Le président reviendra sur le sujet en évoquant sa visite triomphale en Algérie, au début mars 2003, quand il restitua au président Bouteflika le sceau que le Dey avait remis au maréchal de Bourmont, le 5 juillet 1830, lors de la prise d'Alger : « Bouteflika est un personnage complexe, mais je l'aime bien. Il déteste cette période coloniale, mais ne me le dit pas trop, car il est poli. C'est un sujet que nous avons en général esquivé. C'est lui qui m'a cité un livre écrit en arabe par un ancien chef de la wilaya de l'Oranie, qui me consacrait quelques pages : “Il y avait dans la wilaya une unité qui était commandée par un dénommé Chirac, et je tiens à faire l'éloge de cet officier français… parce qu'il a toujours été d'une totale correction avec les gens de la wilaya. Il n'y a jamais eu un problème.”
« C'est vrai, commente le président. J'avais un nerf de bœuf, et au moindre manquement de mes hommes – j'entends : quand l'un d'eux voulait forcer la porte des maisons quand ce n'était pas nécessaire, mettre la mains aux fesses des filles, enfin, vous voyez le genre… – je m'en servais. »
Jacques Chirac raconte que, lors de sa visite officielle en Algérie, Bouteflika organisa une grande réception réunissant beaucoup de gens qui avaient combattu la France. Il lui présenta une femme qui avait fait sauter un café français à Alger, puis l'ancien chef de wilaya qui lui avait consacré quelques pages : « Tous deux sont montés sur scène et me sont tombés dans les bras. Cela ne m'a pas choqué, et je les ai embrassés de bon cœur. »
Les Archives militaires ont gardé trace du principal fait d'armes du sous-lieutenant Chirac. Le 4 mai 1957, il a en effet été cité à l'ordre de la division par le général de division Pédron, commandant le Corps d'armée d'Oran, pour le motif suivant : « Jeune chef de peloton qui, depuis huit mois, a participé à toutes les opérations de son escadron. Le 12 janvier 1957, à El Krarba (Beni Ouarsous), alors qu'un élément ami venait d'être pris à partie par une bande rebelle, a entraîné son peloton, malgré un feu de l'adversaire, et a mené l'assaut à la tête de ses hommes. Son action a permis l'évacuation de blessés et la récupération d'armes et de matériels. »
Cette citation lui a valu l'attribution de la croix de la Valeur militaire avec étoile d'argent.
Son chef d'escadron l'a catalogué « officier de premier ordre […], apte à commander un peloton en toutes circonstances, aussi bien blindé (Patton) qu'à pied […]. A fait preuve en opérations des plus belles qualités guerrières […]. À suivre et à pousser. » Et Jacques Chirac a donc poursuivi sa progression comme officier de réserve : lieutenant fin 1957, capitaine fin 1966, chef d'escadron début octobre 1974, lieutenant-colonel début octobre 1983, colonel début octobre 1992, radié des cadres de réserve le 12 mai 1993.
« La seule carrière que j'aie réellement envisagée de faire en dehors de la politique, c'est la carrière militaire. » Rentré en France, il donne en effet sa démission de l'ENA pour rempiler, mais cette démission est refusée par le directeur et il se soumet. Mais il gardera toujours au cœur la nostalgie de son épopée guerrière.
Il va s'ennuyer ferme pendant deux ans, le temps de terminer l'ENA. Il n'y est pas très aimé, car il ne se mêle guère aux autres, émet des jugements tranchés, plaît beaucoup trop aux filles. Malgré un parcours apparemment linéaire, l'apprenti haut fonctionnaire, infatigable bosseur, capable d'assimiler les dossiers à une vitesse vertigineuse, frôle toujours la « ligne jaune ». Un exemple parmi d'autres : devenu maître de conférences à Sciences-Po en même temps qu'il suit les cours de l'ENA, il demande à un élève de commenter cette phrase : « Guy Mollet est un mouvement alternatif du mollet droit et du mollet gauche qui permet de dire que le socialisme est en
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