L'inconnu de l'Élysée
fait signe et nous sommes ressortis. Tel fut mon premier contact avec Pompidou… »
Les biographies et articles consacrés à Jacques Chirac mettent tous l'accent sur sa boulimie de travail quand il s'attelle aux dossiers qui lui ont été attribués : construction, travaux publics, transports. On le surnomme « Bulldozer ». Il s'intéresse particulièrement au transport aérien et renoue avec Marcel Dassault qui va jouer un rôle déterminant dans sa carrière 12 . Chirac ambitionne de devenir directeur général à l'Aviation civile, poste que lui promet Georges Pompidou au milieu des années 60, malgré son jeune âge. Mais le Premier ministre, qui a remarqué ce jeune serviteur fidèle et compétent, nourrit de plus hautes ambitions pour lui.
Le président raconte : « Un jour, il me convoque et me dit : “Chirac, je vais vous donner une circonscription, vous allez être candidat…” La vérité est que je suis tombé du ciel dans la mesure où ça n'était pas du tout mon ambition, je n'y avais jamais songé. C'est Pompidou qui m'a instillé d'un coup cette idée. Contrairement à ce qu'on a beaucoup écrit, Pierre Juillet n'a été pour rien dans cette décision du Premier ministre.
« Je lui dis : “Très bien.” Je ne sais trop ce qui s'est passé à ce moment-là, mais notre conversation a été interrompue et il m'a dit de revenir lui en parler. Quelque temps plus tard, la conversation a été reprise : “Chirac, vous allez vous présenter dans la région parisienne…” J'ai encore cette conversation dans l'oreille. Je lui réponds : “Ça, monsieur le Premier ministre, c'est hors de question. Je veux bien me présenter, mais si je me présente quelque part, ce sera chez moi, en Corrèze, et nulle part ailleurs !” Connaissant bien sa carte électorale, il m'objecte : “En Corrèze, ce n'est pas possible. Il y a trois circonscriptions : Brive, c'est Charbonnel ; Tulle, c'est imprenable ; et la troisième, Ussel, est communiste. Il est donc hors de question que vous vous présentiez en Corrèze. – Écoutez, monsieur le Premier ministre, je suis d'un naturel obéissant, mais je me présenterai en Corrèze ou je ne me présenterai pas. Et je prendrai Ussel…” Je ne concevais pas de me présenter ailleurs que là où j'avais une attache avec la terre et avec les hommes. C'est quelque chose de charnel. Pompidou n'était pas content… »
Jacques Chirac avait déjà un pied en Corrèze : le maire de Sainte-Féréole l'avait fait élire à son conseil municipal. À partir de juin 1966, il va donc se rendre là-bas toutes les semaines, sillonner les routes de la circonscription, mettre les maires dans sa poche, se familiariser avec les problèmes, écouter, promettre beaucoup, et, de retour à Paris, harceler l'administration grâce à sa position à Matignon. Il séduit les édiles de cette terre radicale-socialiste. Charles Spinasse, maire d'Égletons, ancien ministre de l'Économie du Front populaire, que louait son grand-père dans les colonnes de La Dépêche , le prend sous son aile et dit de lui : « Il est socialiste, ça ne fait pas de doute. Il aurait certainement appartenu au Front populaire ! » – ce à quoi Chirac répond : « Avec des hommes comme Spinasse, certainement 13 . » Grâce à Marcel Dassault, il a un journal, L'Essor du Limousin , à sa disposition, et, de surcroît, le soutien total de Georges Pompidou, ce qui n'est pas rien. Le Premier ministre a même accepté de venir en Corrèze pour soutenir et vanter son jeune poulain :
« À mon cabinet […], on n'a encore jamais réussi à trouver quelqu'un qui lui résiste, et la preuve en est que, malgré un emploi du temps extrêmement chargé, je me trouve ici, n'ayant pu résister moi non plus. J'espère quand même qu'il ne me poussera pas trop vite hors du gouvernement, mais, avec une telle activité, une telle puissance de travail, une telle capacité de réalisation, on peut tout craindre ! »
Le chef de l'État poursuit la narration des débuts de sa carrière politique.
« J'ai eu un coup de chance formidable. J'avais contre moi Robert Mitterrand, un homme sympathique avec qui j'ai gardé par la suite des relations très cordiales. Il y avait un accord de désistement entre les socialistes et les communistes, signé par François Mitterrand, aux termes duquel celui qui était en tête bénéficiait du désistement du second. Arrive en tête un dénommé Var, communiste ; en
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