L'inconnu de l'Élysée
marche. » Cela fait scandale. « Je me suis fait engueuler. Ils ont failli me virer alors que j'avais dit ça gentiment », se souvient le président dans un grand éclat de rire.
Bernard Stasi dit de lui qu'il est « à la fois polar et à part ». Non seulement il travaille beaucoup, mais il continue parallèlement à faire son « école buissonnière ». Personne, hormis sa femme, n'est au courant de ses passions asiatiques et autres…
En juin 1959, il est reçu 16 e de la promotion Vauban. Il repart en Algérie, cette fois avec femme et enfant, en « renfort administratif ». Il aurait pu s'en dispenser, ayant déjà fait là-bas son service militaire, mais il n'y a pas songé une seconde. Pour lui, servir la France, c'est alors servir en Algérie.
Il se retrouve directeur de cabinet du directeur général de l'Agriculture. Est déchiré par le mouvement des Barricades, le 24 janvier 1960. C'est la débandade au Gouvernement général : la plupart des directeurs optent pour le général Challe. Chirac hésite avant de signer une pétition de soutien au général de Gaulle lancée par ses copains de la promotion Vauban : « Nous avons décidé à l'unanimité d'être loyaux envers le général de Gaulle, y compris moi qui étais l'un des plus “Algérie française”. »
Et de me raconter de façon un peu filandreuse comment, à partir de là, il a essayé de comprendre le « père de Gaulle », indépendamment de ce que le Général avait réussi pendant la guerre. « Il a eu le culot de dire : premièrement, que l'Algérie n'était pas française, qu'il fallait en tirer les conséquences et lui accorder l'indépendance ; et deuxièmement, que c'était l'intérêt de la France, car la France ne pouvait se permettre de traîner un tel boulet. Que c'était à la fois contraire au génie de la France et tout à fait contraire aux intérêts de la France… Je me suis dit à ce moment-là : “ce type”, si je peux me permettre, il a un vrai sens de la France. Il a à l'évidence compris que l'intérêt de la France était qu'on rende son indépendance à l'Algérie, moralement, politiquement, matériellement et financièrement. C'est comme ça que je suis devenu gaulliste. Le personnage était porteur d' une certaine idée de la France, de ses intérêts et de sa vocation. »
Jacques Chirac entre à la Cour des comptes en 1960, tout en continuant à enseigner comme maître de conférences à Sciences-Po. Il mène également une mission totalement en adéquation avec sa passion pour l'art et avec son cursus « école buissonnière » : il travaille avec le professeur André Chastel à lancer ce qui deviendra une des grandes œuvres d'André Malraux, l'Inventaire général 10 .
Il intègre le Secrétariat général du gouvernement comme chargé de mission, puis, rapidement, entre au cabinet de Georges Pompidou à Matignon à l'occasion de la formation de son deuxième gouvernement. « Conformément aux habitudes des membres des cabinets, tous se sont rués pour s'arroger les bureaux dégueulasses, exigus, mal foutus, mais situés tout près du Premier ministre, c'est-à-dire à l'Hôtel Matignon même, alors que moi je me suis dit qu'il valait mieux être éloigné de l'autorité : on risque moins… Et voilà comment on m'a assigné le bureau de Bujard 11 , l'homme qui m'avait recruté quelques mois plus tôt. Je me suis installé dans ce superbe bureau. J'y étais comme un prince. »
François-Xavier Ortoli, directeur de cabinet du Premier ministre, présente Jacques Chirac à Georges Pompidou. L'actuel président se souvient : « J'entre quand on me dit d'entrer. Je vois Pompidou qui était en train de signer du courrier. Je me tiens devant son bureau. Il ne disait rien, mais continuait à signer. J'étais un peu anxieux. Jeune fonctionnaire, je ne savais trop ce qu'il convenait de faire ou de dire. Au bout d'un moment qui m'a paru très long, Ortoli a dit : “Monsieur le Premier ministre, je voulais simplement vous présenter Chirac qui va entrer à votre cabinet et qui vient de la Cour des comptes.” Pompidou ne dit toujours rien, me regarde à peine. Je ne dis rien non plus, et Ortoli, ne sachant plus très bien quoi ajouter ni que faire, lance : “Il est très bon !” Pompidou a alors relevé la tête : “J'espère bien, parce que je pense que s'il n'était pas bon, vous ne l'auriez pas fait venir !” Puis Pompidou s'est replongé dans ses parapheurs. Ortoli m'a
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