L'inconnu de l'Élysée
parce que jamais les Français ne toléreront qu'on franchisse la barre des 300 000 chômeurs”. Il faut que vous sachiez qu'à l'époque, m'explique aujourd'hui l'hôte de l'Élysée, il y avait eu une violente campagne, les communistes prétendant qu'on avait, dans le cadre de la préparation du Plan, prévu qu'il y aurait 400 000 chômeurs, alors qu'on en comptait alors un peu moins de 300 000… »
Le président se souvient de la réaction de son beau-père à l'annonce de sa nomination au gouvernement : « Jacques, qu'est-ce que c'est que cette instabilité ? Vous étiez à la Cour des comptes, vous avez été candidat à la députation. Vous avez été élu. Après ça, voici que vous démissionnez… »
« Mon pauvre beau-père, ça le dépassait ! Brave homme, au demeurant… Nommé secrétaire d'État à l'Emploi, cela ne m'a pas empêché de faire des choses sérieuses dans ma circonscription. Je m'y suis déployé. J'y suis allé toutes les semaines. Le vendredi soir, je prenais le train qui me conduisait à 4 heures 30 du matin à Ussel, et je rentrais le lundi matin. Je n'ai pas passé une semaine sans me rendre les samedi et dimanche dans ma circonscription. C'est une question d'honnêteté, quand on a été élu, mais c'est aussi le seul moyen de connaître la France. Le seul moyen, c'est d'avoir un vrai contact avec les gens. Et ce contact ne consiste pas seulement à aller s'y baguenauder de temps à autre, il faut le cultiver en permanence, sur le moyen et le long terme… »
Je lis au président un passage de sa plume dans La Lueur de l'espérance : « Homme politique par vocation ? Je doute. Il m'arrive souvent de penser que ma vie serait plus heureuse dans un champ d'action mieux délimité qui me laisserait, la tâche finie, un temps vraiment libre, sans obligations diffuses ni soucis permanents. »
« Bien sûr, réagit-il, ce sont là des choses qu'on dit spontanément sans trop les penser…
– À partir du moment où avez été élu député, la passion de la politique ne vous a plus lâché ?
– Absolument.
– Mais vous regardiez vers où et jusqu'où vouliez-vous aller ? Quelle était au juste votre ambition ? À partir de quand avez-vous visé la présidence ? »
Il réfléchit longuement, va pour me répondre, puis se ravise :
« C'est bien difficile de répondre à cette question… »
Nouveau silence.
Un autre jour que je lui redemande à partir de quel moment il a nourri les plus hautes ambitions, il me répond à côté :
« J'ai toujours beaucoup travaillé…
– Cela fait longtemps que vous travaillez sept jours sur sept…
– C'est sûr. Grosso modo douze heures par jour.
– Donc, à partir de quand ?…
– Difficile à dire. (Très longue hésitation.) Je vais vous étonner : je n'ai jamais visé une telle promotion, mais j'ai probablement fait tout ce qu'il fallait faire pour qu'elle ait lieu. Je ne me suis jamais dit : Je vais être Premier ministre, ou ministre de ceci ou de cela. Je n'ai jamais demandé quoi que ce soit. »
La connaissance de l'action qu'il a menée pendant douze mois rue de Tilsitt, où il a décidé d'installer les bureaux de son secrétariat à l'Emploi, est essentielle pour comprendre son « tropisme de gauche ». Surtout pour comprendre que son programme présidentiel de 1995 visant à réduire la « fracture sociale » n'était pas un attrape-nigauds conçu par des conseillers en communication, mais recouvrait des idées qu'il avait déjà mises en pratique en 1967-68, puis, ainsi que nous le verrons, en 1974-76, quand il aura été pour la première fois nommé à Matignon.
Chirac est le premier à procéder à ce qu'on appellera plus tard le « traitement social du chômage ». Il institue ce qu'il désignera lui-même comme le « meilleur système de protection de tous les pays capitalistes et socialistes ». Il crée en effet la garantie de ressources pour tous les travailleurs sans emploi et généralise le régime des aides complémentaires. L'UNEDIC est invitée à relever le taux des allocations de 35 à 40 % du salaire de référence pendant les trois premiers mois de chômage. Il crée également l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE), et fixe un taux minimum pour l'indemnité de licenciement. Il élabore cet important train de réformes dans un rapport étroit avec les leaders syndicaux.
Survient Mai 1968. Historiens et journalistes reconnaissent tous – ce qui est
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