L'inconnu de l'Élysée
Concorde.
Jacques Chirac entre dans une salle chauffée à blanc contre lui. Pour la seconde fois de la journée, il essuie sifflets, insultes, quolibets. Des mots très durs sont prononcés par les « barons ». Olivier Guichard : « C'est un mauvais coup, parce qu'il nous divise. Votre décision renie un effort de plus de trente ans ! » René Ribière, député du Val-d'Oise, encore plus violent : « Un de vos ministres, monsieur le secrétaire général, a récemment qualifié de “fascisant” un des principaux partis politiques. Avec vous à la tête de l'UDR, je crains que cette épithète ne puisse être bientôt appliquée à ce que fut le mouvement gaulliste. » N'empêche : si Chirac a ouvert les débats dans un chahut indescriptible, il les clôture dans des cris d'allégresse mêlés à un tonnerre d'applaudissements. Une motion de soutien est adoptée à mains levées. Seul Jacques Chaban-Delmas n'a pas pris part au vote. À l'intérieur même du camp gaulliste, on parle de « viol » de l'UDR. Quelques semaines plus tard, Jacques Chirac usera à ce sujet d'une belle formule devant Georges Mamy, du Nouvel Observateur 1 : « Le “viol” de l'UDR ? D'autres ont dit que j'avais perpétré un coup de force. Ça n'est pas moi qui ai commis un coup de force, c'est l'UDR qui avait un coup de faiblesse ! » Quelles que soient les appréciations portées sur l'homme et ses méthodes, les observateurs sont unanimes à dire qu'un « nouveau Chirac » occupe désormais la scène politique.
Le parti gaulliste a un nouveau chef qui va s'employer à le moderniser et à panser ses blessures. « Ponia », qui cherchait la « dislocation » de l'UDR, a déjà perdu une bataille, et Giscard n'a toujours rien vu dans le jeu de son Premier ministre !
Les principales marques que Chirac va avoir à cœur d'imprimer lors de son passage à Matignon sont d'ordre à la fois social et sociétal. Il le fera avec le concours de Simone Veil, sa complice aux Affaires sociales. Il va notamment s'engager à fond à ses côtés pour faire adopter la très importante loi sur l'interruption volontaire de grossesse.
Déjà, lors de son discours de la porte Maillot, il avait annoncé la loi sur la taxation des plus-values et relancé le projet « gaullien » de participation. Malgré les premiers effets du choc pétrolier, il va protéger salariés et consommateurs en augmentant le salaire minimum, les retraites, les allocations familiales. Il va aussi aider les entreprises en difficulté grâce à la création du CIASI (Comité interministériel d'aménagement des structures industrielles) et des CODEFI (Comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises), chargés de venir en aide aux PME. Par un renforcement du système d'indemnisation du chômage partiel, il va protéger les salariés contre les licenciements dus à un ralentissement temporaire de l'activité. Il va renforcer le contrôle de la réalité des motifs des licenciements économiques et celui de leurs modalités d'accompagnement. Il fait mettre en place par l'UNEDIC une allocation supplémentaire d'attente (les licenciés économiques perçoivent pendant un an 90 % de leur salaire brut antérieur). Il développe les préretraites et généralise enfin la Sécurité sociale à l'ensemble des activités professionnelles.
Dans son entretien au Nouvel Observateur 2 , il confie son état d'esprit en matière de préoccupations sociales : « J'ai toujours été frappé par le caractère excessif des inégalités dans notre société, non par rapport à ce qui existe en d'autres pays, mais par rapport à ce qui devrait exister pour des gens qui ont pour ambition – comme c'est le cas des gaullistes – d'affirmer la dignité de l'homme. Et, bien que ce soit une tâche difficile, ardue lorsqu'on mesure, en effet, les “pesanteurs”, comme vous dites, lorsqu'on voit les “adhérences” qui perpétuent les privilèges, je pense que nous devons affirmer de façon concrète notre volonté d'organiser une société plus juste et plus humaine. »
Jacques Chirac creuse ainsi son sillon. Faute d'avoir les mains libres sur la plupart des sujets, il va également commencer à se doter d'une stature internationale, condition nécessaire pour aller au-delà de Matignon. Il reçoit Deng Xiaoping, Premier ministre chinois, et noue des relations personnelles avec lui. Il se rend en Russie, en Libye, en Inde, et en Irak où
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