L’Inconnue de Birobidjan
pas quoi lui dire.
â Pas des Américains. Un seul . Lui. Et ça suffit.
â Il est là depuis longtemps ?
â Plus dâun an. Je nâaime pas le savoir chez nous, mais la décision de le garder avec nous était justifiée.
â Le garder ici ? Il nâa pas émigré, comme les autres ?
â Il devait seulement convoyer lâaide des Juifs dâAmérique jusquâici et repartir. Et puis⦠nous nâavions quâun dispensaire juif et pas de médecins capables de pratiquer des opérations simples. Pas de matériel non plus. La région était trop pauvre pour monter un petit hôpital. Les malades devaient aller à Khabarovsk. Quand câétait possible. Il y a eu beaucoup dâaccidents et de maladies au début de lâimmigration. Des décès, aussi. Les immigrants étaient fragiles, ils arrivaient de la ville⦠Câétait très dur. Le Parti a fait ce quâil pouvait. Mais le comité devait trouver de lâaide par lui-même. Les Juifs dâAmérique nous ont promis une assistance. Ãa a pris du temps, et quand ils ont envoyé le matériel médical, la guerre venait juste de commencer. Apron est arrivé avec. Il devait apprendre à nos médecins à faire fonctionner les appareils et repartir. Mais tous les médecins capables étaient réquisitionnés pour le front de la Volga. Il nâen restait plus que deux. Lâun est à Bidjan, à cent kilomètres dâici, tout près de la frontière chinoise. Il ne veut pas se déplacer jusquâici, ils ont besoin de lui là -bas. Quant à lâautre, il est saoul dès quâil se lève. Apron a proposé de transformer notre dispensaire en un petit hôpital avec une salle dâopération et de rester ici jusquâà la fin de la guerre. Le conseil exécutif de Birobidjan en a discuté, on a transmis la proposition au secrétariat du Parti pour la région, qui a demandé lâavis de Moscou. Moscou a dit oui, et voilà . Une sage décision⦠De temps en temps, il faut savoir être pragmatique. Utiliser lâaide dâoù elle vient, nâest-ce pas ?
Marina sâabstint de répondre. Le froid de la salle la fit frissonner. Levine le remarqua. Il tendit la main pour ajuster le châle sur son épaule.
â Mais câest quand même un Américain, ajouta-t-il avec une grimace.
à son tour, il sortit un paquet de cigarettes. Des Slava, à lâécusson orange et au filtre élégant. Marina eut un rire moqueur.
â Je croyais quâil était interdit de fumer sur le plateau ?
Levine eut un clin dâÅil.
â Pour les Américains seulement.
Il retrouvait son assurance, son charme. Il alluma sa cigarette, souffla la première bouffée en rejetant le visage en arrière. Marina débarrassa la scène des quelques accessoires quâelle avait disposés comme repère pour son exercice. Il lâobserva, dit :
â Je regrette de nâêtre pas venu plus tôt, pendant que tu travaillais. Jâavais une réunion importante.
â Pas grave. Il vaut mieux que tu nâaies encore rien vu. Beaucoup de déchets. Ce nâétait quâun début. Je reprendrai demain.
â LâAméricain a eu lâair dâapprécier.
â Peut-être quâil ne connaît pas grand-chose au théâtre. Est-ce quâil est bon médecin ?
â Il paraît. Les femmes ne jurent que par lui. Câest surtout elles quâil soigne.
Levine avait lancé ça sur le ton de lâhumour et de la provocation. Mais son regard en disait plus. Marina sourit, amusée. Peut-être désireuse de le provoquer en retour, elle demanda :
â Sâil fait bien son travail, quây a-t-il à lui reprocher ? Seulement dâêtre américain ?
â Ce nâest pas rien, dâêtre américain. LâAmérique est lâendroit le plus répugnant du monde. On sait ce que câest et comment ils vivent.
â Mais lui, il ne vit plus là -bas. Il est ici, il soigne les habitants de Birobidjan. Il ne sâest pas contenté dâapporter des appareils, il aide réellement. Il a même lâair dâaimer vivre ici, avec nous.
Levine balaya lâargument dâun
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