L’Inconnue de Birobidjan
geste.
â Ãa ne suffit pas pour avoir confiance. Pas dans des types comme ça. Une histoire de personnalité, de⦠de perzenlekhkeyt , comme on dit en yiddish. Il va, il vient. On ne sait jamais où il est. Il est entré ici, pourtant le théâtre est fermé, non ? Les locaux sont réservés pour le travail et ouverts seulement quand il y a un spectacle. Ce nâest pas la place de ce type. Et, tu vois, il entre quand même, comme chez lui. Quâest-ce quâil cherche ?
Planté au milieu de la scène, Levine toisait Marina. Il était redevenu sérieux, aigu. Avec le ton et les manières dâun homme habitué à gagner la bataille des mots.
Marina objecta doucement :
â Peut-être est-ce un défaut typiquement américain ? Ils aiment voir les actrices de près ? à cause dâHollywood ?
Elle avait souri pour adoucir sa moquerie. Levine hésita puis se détendit, plaisantant à son tour :
â Pourquoi pas ? On sait bien que les Américains sont dégénérés, non ?
Il attrapa le journal, contempla le portrait quâil connaissait par cÅur avant de froisser en boule le Birobidjanskaya Zvezda pour le jeter en coulisse.
â Il faut le reconnaître, notre photographe nâest pas doué. Tu es beaucoup plus belle que ça, crois-moi.
Le châle de Marina avait de nouveau glissé. Levine le remonta délicatement sur son épaule. La caresse, cette fois, fut plus franche. Quand il lâinvita à boire un thé au chaud dans son bureau, il était tout à fait redevenu le beau Metvei Levine, sûr de lui et de son pouvoir.
Â
Et, à présent, Marina entendait Nadia dire :
â Mister Doctor Apron, il nâest pas tout le temps ici, au nouvel hôpital. Il disparaît dans la taïga quand ça lui chante. Même avec toute cette neige. Il va soigner dans des villages que le monde a oubliés. Il revient avec des sacs de nourriture. Les gens sont tellement contents de le voir. Il veut faire un recensement de toutes les maladies du district, depuis la frontière du fleuve jusquâaux collines de Londoko, sur la voie de chemin de fer. Il a expliqué au comité que lâhôpital pourrait ainsi prévoir des traitements dâavance. Des vaccins contre les fièvres des marais et les maladies transportées par les moustiques. Grand-maman Lipa se moque de lui. Elle dit que le long de lâAmour il nây a quâune seule maladie qui compte, et quâil ne parviendra jamais à la soigner à lui tout seul.
La gaieté de Nadia emporta celle de Marina.
â Il a obtenu une camionnette du secrétariat du Parti⦠Lâété dernier, il est allé à Khabarovsk et il est revenu avec une ZIS presque neuve. Tu aurais vu la tête de Metvei ! La Zotchenska était folle. Même pour un tracteur, il faut attendre des mois. Le vieux Klitenit et les autres étaient certains que Mister Doctor Apron lâavait volée dans un kolkhoze. Ils gueulaient : « Où tu lâas prise, Américain ? Où tu lâas volée ? » Et lui : « Pas de vol, camarades, pas de vol ! Rien que du normal administratif. Don du secrétariat de région à lâhôpital juif de Birobidjan. Officiel. »
à imiter la voix et lâaccent de lâAméricain, Nadia sâétouffait de rire. Marina, imaginant fort bien la scène, lâaccompagna dans sa gaieté.
â La Zotchenska a appelé le secrétariat du Parti à Khabarovsk. On lui a dit : « Tout est en ordre, camarade commissaire. Une camionnette ZIS-51, numéro tchoctchoctcho , a été accordée à votre nouvel hôpital. Décision du secrétariat, signée par la camarade secrétaire Priobine. Félicitations ! »
â Et comment a-t-il fait ?
Nadia rougit, se mordit la lèvre.
â Je ne sais pas si câest vrai. Ce sont les filles du dispensaire qui racontent ces chosesâ¦
â Nadiaâ¦
â Depuis le début de la guerre, la secrétaire du Parti à la région, cette Priobine, il paraît quâelle est encore pire que Zotchenska. Il lui faut tous les hommes un peu beaux. Et lui, Mister Doctor, quand elle lâa vuâ¦
â Mais il est américain.
â Oui, et lâargent
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