L’Inconnue de Birobidjan
droit commun. Miss Gousseïev redevient une justiciable ordinaire. En conséquence, nul ne peut lui interdire de faire appel à un avocat. La clause dâisolement de témoin de la Commission nâest plus valable. Dès neuf heures demain matin je serai chez le procureur général Saypol afin de déposer une requête dâassistance pour Miss Gousseïev. Un moment plaisant. Je me réjouis dâavance de voir la tête de notre procureur général et de Cohn.
T. C. leva son verre avec un sourire qui nâarrangea en rien sa beauté. Mais je pigeai enfin. Je ne recouvrai pas mon calme pour autant.
â Vous⦠vous pensez quâelle lâa fait exprès ? La carafe ? Elle savait quâen agressant Nixon elle sâouvrait cette porte ?
T. C. vida son verre avant de répondre :
â Câest possible.
â Mais ça voudrait direâ¦
Je me tus, estomaqué par la pensée qui me venait. Cela signifierait que Marina Andreïeva Gousseïev connaissait trop bien nos lois pour une immigrée soviétique. Mais pas pour une espionne de haute volée que lâon aurait formée à lâéventualité dâun emprisonnement.
â Nom de Dieu ! soupirai-je.
T. C. eut un geste apaisant.
â Une hypothèse, Al. Rien de plus. Au moins, les choses vont sâéclaircir, et assez vite.
â Ah oui ?
â Poursuivez le raisonnement jusquâau bout, Al. Si votre Russe est une belle espionne, cette agression contre Nixon est un message pour ceux qui la surveillent depuis lâambassade soviétique. Une sorte de code qui doit prévenir quâelle est coincée, quâelle ne tiendra plus longtemps devant le FBI.
â Pourquoi maintenant ?
â Je nâai pas encore pu obtenir de détails sur le matériel que Cohn a récupéré dans sa perquisition à New York. Peut-être les analyses vont-elles permettre de trouver quelque chose. Des microfilms, un code⦠Les Soviétiques sont capables de prouesses dans ce registre⦠Si Gousseïev se doute que le FBI finira par mettre la main sur une preuve de ce genre, il vaut mieux quâelle appelle à lâaide. Après, ce sera trop tard.
â Et les Soviétiques vont la sortir de là  ?
â Possible. Si câest une agente importante, ils essaieront. Un avocat au service de lâambassade soviétique se présentera chez Saypol et exigera de lâassister. Au moins de la voir et de prendre contact avec elle. Tout comme moi. Une situation qui pourrait être amusante⦠Ici, à Washington, la moitié du personnel de lâambassade est constituée de maîtres espions. Ils savent comment agir en pareille situation. Et je suis curieux de voir comment Saypol et Cohn vont se tirer dâaffaire.
Pendant que T. C. parlait, un souvenir de ma visite à la prison le matin me revint. Marina me demandant : « Vous nâêtes pas avec eux ? Avec ceux de New York. Les bolcheviks du consulat. Eux aussi sont après moi. Ils sont puissants. Ils peuvent obtenir des autorisations comme la vôtre. »
T. C. poursuivit :
â En ce cas, il faudra vous faire une raison, mon ami : la Commission aura tapé dans le mille. McCarthy et Nixon seront des héros avant la fin de la semaine.
Je secouai la tête.
â Ãa ne tient pas debout. Ce matin, quand je lâai vue au parloir de la prison, Marina avait une trouille bleue que je sois un agent de lâambassade !
â Al, ne soyez pas idiot.
â Je sais voir quand quelquâun a peur, T. C. Je sais entendre â¦
â Quoi ? La vérité ? Le mensonge ?⦠Vous ne cessez de répéter que cette femme est une actrice formidable. à quoi ressemble la vérité, dans la bouche dâune actrice ?
â T. Câ¦
â Mettez-vous ça en tête une bonne fois : tout est possible. Une chose et son contraire, OK ?
â Non. Désolé ! Jâai une âme simple, niaise, peut-être, mais je crois à certains sentiments, comme la douleur et la fidélité. Et jâai toujours eu horreur du gris.
â Foutaises. Vous êtes journaliste, Al !
â Journaliste, mais pas cynique. Je laisse ça aux avocats.
T. C. nâapprécia pas. Sa bonhomie se mua en glace en
Weitere Kostenlose Bücher