L’Inconnue de Birobidjan
quâun de ces éclairs de flash meurtriers qui bombardaient le bleu océan de ses iris. Mais un incroyable sourire, gorgé dâorgueil, dâindifférence amusée sous le masque de la haine et de la fureur quâelle offrait aux objectifs, en bonne actrice consciente de son rôle. Nom de Dieu, où puisait-elle cette force ?
Quelques secondes plus tôt, jâaurais voulu avoir le courage de la prendre dans mes bras, de lâarracher à ce massacre. Mais elle nâen avait pas besoin. Quoi que cette bande de crétins lui fasse, ils ne lâatteindraient pas. Elle ne leur accordait rien de sa vérité, seulement la puissance de son art.
Un photographe se retourna et gueula :
â Al, viens poser à côté de ta chérie !
Il y eut des ricanements, dâautres interjections. Avant que les flics se décident enfin à la pousser dans le fourgon, Marina me jeta un nouveau regard. Contenant un peu de surprise et peut-être un éclat de chaleur. De tendresse. Du moins voulus-je le croire.
Les portes du fourgon claquèrent. Quelquâun brailla :
â Sénateur Nixon ! Sénateur Nixon !
Il était là , sur le perron opposé de la cour, sa face chafouine toute souriante. Prêt à raconter au reste du monde comment lâespionne bolchevique avait voulu lâassassiner.
Les piranhas se précipitèrent sur lui. Jâen profitai pour disparaître.
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Je fus prudent en mâapprochant de ma Nash dans le parking. Shirley ne sâétait pas trompée. Les fédéraux ne jouaient plus à cache-cache. Ils étaient là , dans une Oldsmobile bleu nuit à cinq ou six emplacements de ma voiture, aussi voyants que des mouches sur un pot de beurre. Le portrait habituel du petit personnel du FBI : cheveux ras, cigarette, air vague au-dessus de journaux repliés sur la page des mots croisés. Ils avaient tombé la veste et baissé leurs vitres à cause de la chaleur. Le plus gros des deux sâépongeait régulièrement le gras du menton et les plis du crâne au-dessus de son col de chemise. Personne nâenviait leur job.
Je rebroussai chemin avant que ma présence sâimpose à leur conscience assoupie. Jâavais mieux à faire que de retourner directement chez moi. Je traversai le jardin du Congrès et hélai un taxi autour de Washington Union Station. Un quart dâheure plus tard jâarrivai Chez George, à lâangle de Maryland Avenue et dâElliot Street. Le restaurant était au premier étage, mais le rez-de-chaussée offrait un bar confortable et le sous-sol abritait de discrètes cabines téléphoniques. Le bar était déjà aux trois quarts plein. Quelques têtes célèbres feignant dâêtre là incognito.
Jâannulai ma réservation du soir. Lorsque la fille de lâaccueil me demanda si je souhaitais la repousser à une date ultérieure, jâouvris la bouche pour dire non⦠et la refermai en approuvant dâun signe.
â Quelle date désirez-vous, monsieur ?
â Dans dix jours, le 5 juillet, sâil vous plaît.
Une intuition. Ou une petite crise de superstition, comme on voudra.
Shirley méritait toujours son invitation, et jâavais besoin de conjurer ce qui mâattendait avec les fédéraux.
Je me fis servir un double bourbon avant de rejoindre les cabines téléphoniques en emportant mon verre. Ulysse me passa son patron en moins dâune minute. Un record.
â Jâai besoin de vous voir, T. C. Jâai de la poussière plein les semelles.
Il comprit sur-le-champ et gloussa avec entrain.
â Je peux venir chez vous ?
â Je ne connais pas de meilleur endroit pour papoter agréablement, mon ami.
â Jây serai dans une demi-heure.
Il me fallut un peu plus de temps. Dans le taxi je repensai à lâexpression de Marina Andreïeva Gousseïev. Avait-elle enfin compris que je nâétais pas son ennemi ? Que je ne voulais que lâaider ?
Mais le pouvais-je encore ?
Pouvais-je vraiment lui faire confiance ? Et est-ce que je le souhaitais ?
Son numéro avec Nixon avait été spectaculaire. Néanmoins, il pouvait aussi bien être un coup de colère quâune habile stratégie afin dâéviter les questions embarrassantes.
Tout ce
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