L’Inconnue de Birobidjan
de 1947. Cette fois, les initiales signifiaient Town & Country . Câétait son genre dâhumour.
Â
Il faisait presque nuit quand je regagnai ma propre voiture. Les fédéraux étaient toujours là . Peut-être les mêmes. Je ne pus distinguer leurs visages dans lâombre. Un métier décidément peu enviable.
Je pris la direction du bureau du Post . Ils suivirent docilement. Les fiches signalant les appels de Sam étaient posées bien en évidence sur ma table. Quatre pour la fin dâaprès-midi. Pas une surprise. Et je savais dâavance ce quâon allait se dire. Jâéteignis la lumière et ressortis sans décrocher le téléphone.
Jâavais toute une soirée vide devant moi et ne savais pas comment la remplir. La présence de Shirley me manquait. Le souvenir de sa peau de presque rousse sous le kimono de soie à têtes de pivoine mâobséda un moment. Et ce sourire quâelle pouvait avoir, qui gonflait ses pommettes et lui donnait lâair se moquer de lâenfer.
Puis le regard bleu océan de Marina Andreïeva Gousseïev revint danser par-dessus ce rêve éveillé. Elle aussi avait une peau qui vous incendiait la paume sans même lâapprocher.
Il me fallait un verre pour passer à dâautres songeries. Je laissai ma voiture devant le bureau, allai traîner sur Florida Avenue, entrai dans un bar. Les commentaires dâun match de boxe braillaient à la radio. Je ressortis. Les cinémas de Jefferson Hall nâétaient pas loin. Les titres en néon en jetaient plein lâobscurité : La Fille du désert , Les Amants de la nuit . Rien de bon pour moi.
Quand je me surpris dans le reflet dâune vitrine à contempler des mannequins en maillot de bain, je compris quâil était temps de rentrer à la maison.
Mes poissons suiveurs ne me lâchaient pas. Ils mâaccompagnèrent à travers la ville. Je les vis se garer à lâangle de mon immeuble. Pour un peu, jâaurais eu pitié dâeux autant que de moi.
Â
Le téléphone sonna pendant que je contemplais le vide sidéral de mon réfrigérateur. Câétait Sam, comme prévu. Etcomme prévu les choses se passèrent mal. Wechsler était hors de lui. Wood nâavait pas tenu sa parole et je nâavais pas écrit une ligne de ma défunte exclusivité. Sans doute une bonne chose pour le journal, puisque jâavais eu autant de flair quâun putois. Il ne me restait plus quâà envoyer de la copie sans faire le malin. Avec des faits connus, et rien dâautre. Plus question de jouer les chevaliers blancs face à McCarthy et consort. « Ma Russe » sâenfonçait toute seule, et je nâavais pas le début dâun commencement de preuve quâelle ne soit ni une espionne ni une meurtrière. à part mon désir de faire le mariole.
De fil en aiguille, le ton monta. Je finis par gueuler :
â Sam, si le New York Post doit devenir une annexe de Red Channel , ce sera sans moi ! Jâécris encore avec de lâencre, pas avec du purin.
Ce qui nous secoua tous les deux et nous réduisit au silence pour au moins cinq secondes. Je mâattendis à ce que Sam mâannonce quâil se passait de mes services. La lame ne tomba pas loin.
â Demain, tu choisis, Al. Ton boulot ou tes foutaises. Souviens-toi : New York ne manque pas de bons journalistes qui savent encore rester lucides en face dâune femme.
Je fis de mon mieux pour demeurer courtois.
â Au moins une chose, Sam : as-tu fait tourner le nom dâApron dans Brooklyn et le Lower East Side ?
Jâeus droit à un ricanement.
â Il y a vingt-sept familles Apron recensées à Brooklyn et dans le Lower East Side. Trois médecins portent ce nom. Le plus jeune est interne au Carolina Hospital de Manhattan. Les deux autres ont plus de cinquante ans, exercent en pères de famille. Ils nâont jamais abandonné leurs cabinets. Et lâU.S. Medical Board Licensing Association nâa enregistré aucun Michael Apron à New York ou dans le New Jersey entre 1935 et 1942. Tu joues avec des fantômes, Al. Bonne nuit.
Après avoir raccroché, je fis semblant dâhésiter entre une mise au propre de mes notes et une bouteille dâHeaven Hilldégustée avec lenteur sur le canapé. Une
Weitere Kostenlose Bücher