L’Inconnue de Birobidjan
quâelle nous avait raconté jusque-là nâétait-il que du bluff ?
Se murer dans le silence, comme elle avait décidé de le faire, ne la mènerait nulle part. La clique de la Commission saurait exploiter ce silence à son bénéfice.
Mais comment le lui faire comprendre, maintenant quâil était hors de question de lui rendre visite en prison ?
Jâarrivai chez T. C. plutôt à cran. Toujours en costume blanc, Ulysse me conduisit à travers le jardin, comme lâavant-veille. Je retrouvai la tête chauve, les grosses lunettes et les prunelles de myope de T. C. dans la même bergère dâosier près de la piscine. La vue sur le Potomac nâavait rien perdu de sa beauté. Selon la coutume de la maison, on ne se serra pas la main.
Ulysse me servit une jolie ration de Wild Turkey de quinze ans dââge. T. C. poussa vers moi la coupe à cigarettes en forme de tulipe.
â Ne vous en faites pas, pour les fédéraux, Al. Ils sont là pour vous gâcher la vie et vous impressionner. Ãa nâira pas plus loin.
Jâavalai une gorgée de nectar et jouai avec une cigarette sans lâallumer.
â Il nây a pas que moi.
Je lui parlai du billet de Shirley.
â Elle a pris plus de risques que moi.
T. C. secoua la tête.
â Son patron ne laissera pas le FBI lui faire des misères.
â Wood ?
â Je vous parie que le sénateur réglera ça lui-même avec votre amie. Ãa la foutrait mal pour lui que ça devienne public, non ? Vous avez détruit la fausse autorisation de visite ?
â Oui, câest fait.
â Donc, les fédéraux nâont rien. De la suspicion, du vent⦠tout juste de quoi faire les gros yeux.
Jâallumai enfin ma cigarette et soufflai la première bouffée avec un peu de soulagement. T. C. avait probablement raison. Il me sourit avec gourmandise.
â Il semble que la fin de lâaudience a été quelque peu mouvementée ?
â Vous le savez déjà  ?
â Dans les grandes lignes, rien de plus.
Je faillis lui demander comment il sây prenait. Il leva sa main potelée.
â Ne rêvez pas. Allez-y, je vous écoute.
Ãa prit du temps : la journée avait été longue. Je conclus en racontant la scène des photographes et la manière dont les collègues de la presse Hearst mâétaient tombés sur le dos.
â Je suppose que câest la réplique de McCarthy et de Nixon à ma visite à la prison, ce matin. Ils mâont pris de vitesse pour que leurs saloperies sâétalent à la une avant que jâaie pondu le premier article. Et grâce à moi le New York Post a perdu lâexclusivité de cette histoire. Wechsler et Sam doivent hurler de rage. Ou essayer de me joindre pour me virer.
T. C. parut apprécier lâampleur du désastre, pourtant cela ne lui ôta en rien sa bonne humeur. Ce qui eut le don de faire monter mon énervement dâun cran supplémentaire.
â Dès demain, ce sera lâhallali, T. C. Marina Andreïeva Gousseïev va rôtir sur le bûcher de la presse avant dâaller griller sur la chaise électrique.
â Elle aurait vraiment pu atteindre Nixon au visage, cette carafe ?
â Elle aurait pu. Et aussi faire des dégâtsâ¦
Ses joues tremblotèrent dâun rire silencieux.
â Jâaurais aimé voir ça.
â Le spectacle valait le coup. Si on est amateur de suicide.
Il grogna. Son regard se perdit vers le Potomac. Je le laissai digérer la montagne de paroles que je venais de lui servir.
On resta un instant à boire et à fumer. Il rompit le silence le premier.
â Câest parfait.
â Parfait ? Expliquez-moi.
â Nixon va déposer plainte contre elle, nâest-ce pas ?
â Cohn lâa annoncé, et aussi que Wood en ferait autant au nom de la Commission.
â La plainte de Wood est secondaire. Il sâagira dâune plainte pour outrage. Mais celle de Nixon ne peut être quâune plainte pour agression et probablement pour tentative de meurtre. Nixon aime bien charger la barque.
â Vous trouvez ça réjouissant ?
â Al, votre Russe connaît nos lois mieux que vous. Agression et tentative de meurtre sont des crimes de
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