L’Inconnue de Birobidjan
un claquement de doigts. Je nâaurais pas été surpris quâil me fiche dehors. Jâétais à cran. Je le laissai bouder tout en me resservant un verre.
â Excusez-moi. Oubliez ça. Je retire le cynisme, admis-je. Vous avez sans doute raison⦠Merde, T. C. ! Cette femmeme fait tourner en bourrique. La vérité est que je suis un Juif sentimental et orgueilleux, et que jâaurais du mal à admettre que je me suis fait avoir.
T. C. balaya ma remarque dâun mouvement de la tête.
â On nâen est pas là ⦠Jâai déjeuné avec un bon ami du Pentagone. Il mâa expliqué une ou deux choses intéressantes concernant la procédure des agents de lâOSS pendant la guerre. Ils nâopéraient jamais seuls. En URSS moins quâailleurs. Les agents « intégrés », ceux qui se fondaient dans la population pour plusieurs années, avaient besoin dâ« échos » : dâautres agents qui servaient de « boîte aux lettres », qui réceptionnaient leurs informations et les retransmettaient chez nous, à Langley, le quartier général de lâOSS. Ces types se relayaient de façon à limiter les risques. Si lâagent intégré était en danger, il pouvait réclamer de lâaide à son écho. Ils avaient des procédures dâurgence. Ce qui signifie quâApron nâétait pas seul. Il avait un écho quelque part. Probablement hors du Birobidjan, mais pas très loin. Si lâon examine la carte, il nây a que deux villes possibles : Khabarovsk et Vladivostok. Ce qui suppose aussi autre choseâ¦
T. C. avait retrouvé son goût de la mise en scène.
â Ce type, cet écho, a certainement su quand et comment Apron a disparu. Et la première chose quâil a dû faire, câest en informer lâOSS. Peut-être même sa mission sâest-elle arrêtée là , puisquâil nâavait plus rien à transmettre ? Il est impossible quâà Langley, on nâait pas été au courantâ¦
â Le dossier de lâIrlandais ! Le dossier que ce type de la CIA, OâNeal, a donné à Wood. Il contient toute lâhistoire !
T. C. approuva.
â Bien probable. Peut-être pas toute lâhistoire, mais il doit au moins signaler lâexistence de cet autre agent. Détailler quand et comment Apron a été grillé auprès des Russes. Et quand, à Langley, on a appris la mort dâApronâ¦
â Et comme ça ne cadre pas avec leur version de lâhistoire, câest-à -dire le meurtre dâApron par Marina, Nixon,McCarthy, Cohn et toute la clique ont dissimulé lâexistence de ce second agentâ¦
â Ou la CIA les a priés de ne pas en parler, tout simplement.
â Pourquoi ?
â Al, Dieu sait combien dâespions américains sont chez Staline en ce moment. La CIA ne va pas claironner comment elle sây prend. Il est possible que la boîte aux lettres utilisée par Apron soit encore activeâ¦
â Il nous faut ce rapport.
â Comme vous y allez ! Vous pensez le leur demander ?
â Votre ami du Pentagoneâ¦
â Bavarder est une chose, Al. Sortir un document classé secret en est une autre.
Lâironie de T. C. étouffa mon excitation. Câétait toujours la même rengaine. On faisait un pas en avant pour sâapercevoir quâil fallait en faire cinq de côté avant de retrouver la lumière au bout du tunnel.
â Je vais commencer par rencontrer votre actrice.
â Elle ne va pas vous sauter au cou. Il faudra la convaincre de vous faire confiance.
â Je lui dirai que je viens de votre part.
Je ne tentai même pas dâavoir lâair amusé.
â Il y a encore une possibilité, T. C.
â Oui ?
â Les Soviets peuvent envoyer quelquâun à Marina. Pas pour la sortir de lâOld County Jail. Pour la supprimer.
T. C. mâobserva avant dâopiner :
â Câest exact. Câest une possibilité.
â Ce ne serait pas la première fois.
â Non.
â Il vaudrait mieux que vous insistiez pour la voir le premier⦠au cas où la question se poserait.
T. C. me fit raccompagner par Ulysse dans son carrosse personnel, une Chrysler T. C.
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