L’Inconnue de Birobidjan
Jâai entendu distinctement le gémissement de Marina Andreïeva et jâai compris quâelle avait reconnu Apron. Oblitine a passé la tête dans la cabine et mâa fait signe de me tenir prêt. à travers la couchette, jâai senti la vibration du moteur qui accélérait. Les braillements des ourki couvraient tous les autres bruits.
Une voix a crié plus fort que les autres. Marina Andreïeva a répondu, mais je nâai pas compris ce quâelle disait. Aux chocs sur le pont, jâai conclu quâils déposaient la chaise dâApron, et je crois bien avoir entendu sa voix. Par la lunette de la cabine, jâai vu le fils dâOblitine se placer près de son arme. Au même moment Marina Andreïeva a hurlé. Jâai saisi mon revolver et je suis sorti sur le pont. Jâai dâabord fait face au regard dâApron et je me souviens avoir pensé à une tête de mort qui possédait encore des yeux.
Lâourki glabre était tout à lâarrière du pont, les autres braillaient et riaient sur le quai,dans son dos. Il avait déchiré la chemise de Marina Andreïeva et la retenait par le poignet. Il a eu une seconde dâhésitation en me découvrant. Presque en même temps, il a repoussé Marina Andreïeva dans la caisse des filets pour libérer sa main droite et il a attrapé son couteau dans son étui de ceinture. Jâai tiré. Deux ou trois coups, et autant de balles dans sa poitrine. Il sâest écroulé. Oblitine a lancé le bateau. Jâai vidé le chargeur de mon arme sur le quai. Le mouvement mâa empêché dâêtre précis, je ne crois pas avoir atteint beaucoup de cibles. Le fils dâOblitine a tiré lui aussi. Les ourki se sont mis à courir le long du quai. Le bateau sâest écarté trop lentement. Nous nâétions quâà cinq ou six mètres, encore à portée dâarme.
Nous nâavions pas pensé aux couteaux des ourki. Le temps que je me mette à lâabri, une lame mâest entrée sur le côté du ventre. Lâépaisseur du bandage lâa empêchée de pénétrer en profondeur. Marina Andreïeva a reçu une estafilade au bras. Elle sâest précipitée sur Apron, recroquevillé sur sa chaise. Elle a hurlé de nouveau. Elle criait encore quand on est enfin sortis du port. Une lame plus longue que ma main était fichée dans le cou dâApron.
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Notre fuite sâest faite sans encombre. Mais le spectacle de Marina Andreïeva Gousseïev couchée sur le corps martyrisé dâApron était éprouvant. Elle a refusé pendant trois jours quâon le dépose en mer. Pendant ces trois jours, elle nâa cessé de raconter au cadavre comment elle avait conservé le certificat de leur mariage dans le camp, jusquâà ce quâune fouille plus poussée le découvre. Elle sâen excusait sans fin, comme si elle était persuadée que câétait là la raison des souffrances dâApron. Elle lui avait promis de le maintenir en vie, et elle nâavait pas tenu sa promesse.
Quand elle nous a laissés donner une sépulture à Apron, jâai cru quâelle était devenue folle.Pourtant, elle sâest mise à soigner ma blessure très raisonnablement, quoique sans plus prononcer un mot.
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Le 19 septembre, après une navigation calme, Oblitine nous a déposés dans le port japonais dâOtaru avant de poursuivre sa route plus au sud. Marina Andreïeva Gousseïev mâa aidé à rejoindre le camp de prisonniers de guerre américains de Sapporo. Ma blessure me faisait considérablement souffrir. Jâai pu recevoir des soins au dispensaire du camp que lâarmée américaine venait de libérer.
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Je certifie sur lâhonneur la véracité de tout ce qui est écrit ci-dessus.
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Agent Julius. S. Overty
OSS-(LT-ag-102)
COMPLÃMENT  : Lâagent Julius. S. Overty : OSS-(LT-ag-102) est décédé des suites dâune septicémie généralisée le 22 novembre 1945. Compte tenu de son état, une grande part de son rapport a été enregistrée et dictée.
Après quelques soins à Sapporo, il a bénéficié dâun transport de rapatriement militaire vers San Francisco (7-14 octobre) en compagnie de Maria Apron (ou Marina
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