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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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d’un très lointain Iossif Vissarionovitch Djougachvili, ce jeune homme qu’il avait été avant d’engendrer Staline.
    Peut-être, à cet instant, perçut-il le regard de Marina. Il lui fit face. Leurs yeux s’agrippèrent comme deux aimants. Son poignet eut une secousse. L’alcool tangua dans sonverre et versa. Il porta sa main à ses lèvres, lécha le peu de vodka qui l’humidifiait. Dans ses pupilles, celles du plus vorace des hommes de l’URSS, celles du fauve du pouvoir, flottait l’incompréhension enfantine de celui qui se sait rejeté, banni de l’amour auquel il croyait encore. Oh ! ce ne fut pas plus long qu’un éclair. À peine un claquement de foudre. Mais Marina en reçut le souffle ardent.
    Une boule de tristesse lui monta dans la gorge. Elle reconnaissait cette douleur. Elle, l’orpheline qui se démenait sur la scène pour qu’on l’aime et l’admire, savait lire ce regard inattendu qui s’ouvrait à elle. Sans réfléchir, sans calcul, sous la seule poussée de l’émotion, elle sourit. Le vrai, le beau sourire d’accueil d’une femme à un homme dont elle perçoit la vérité enfouie loin sous l’amas des apparences. Du seul éclat de ses yeux, Staline lui répondit. Du moins le crut-elle. En vérité, elle n’en fut jamais certaine. Déjà le vacarme de la fête reprenait autour d’eux. Le tintement des verres et des rires, les « Iossif, de la musique ». Tous voulaient oublier l’esclandre de Nadedja Allilouïeva.
    Â 
    Ce qui advint ensuite, l’inévitable, se déroula dans une confusion ouateuse. Ce pouvait être l’effet de l’alcool. Chacun tenait son verre. Il ne restait pas longtemps plein. Marina ne résistait plus, elle but comme les autres. Staline alla relancer le gramophone. Lorsque la musique reprit, Egorova le conduisit jusqu’à Marina. Elle les assembla. Pour ainsi dire, les enlaça. Elle susurra à l’oreille de Marina :
    â€” Sois douce avec Iossif, Marinotchka. Il en a besoin.
    Cette première danse fut suivie d’une autre, puis d’une autre, et encore d’une autre… Ils ne dansaient plus qu’ensemble. Entre chaque danse, Staline allait remonter le gramophone. Au retour, il saisissait un verre, le vidait en s’approchant d’elle qui l’attendait. Les autres, les Mikoïan, Kalinine et Ordjonikidze, ne l’abordaient plus. Elle était devenue invisible. Les femmes ne lui jetaient même plus leurs coups d’œil en coin. Elle n’existait que pour Stalinequi lui baisait les doigts avant de l’enlacer, ses pas devenus plus lents, moins attentifs à la musique.
    Elle avait fini par ne plus sentir son odeur du tabac. Bien qu’on eût ouvert des fenêtres, la fumée des cigarettes stagnait autour des lustres. Autant que celle de son partenaire, son haleine gorgée de vodka devenait épaisse et acide. Comment tenait-elle encore debout ? Cela relevait du miracle. Il lui semblait lutter contre ses mâchoires pour répondre aux questions que Staline lui posait tout soudain. Quels avaient été ses rôles ? Avait-elle le trac ? Comment faisait-elle pour le vaincre ? Avait-elle déjà joué au cinéma ? Non ? Et pourquoi ? Elle le devait ! Le cinéma était le plus grand art du siècle ! Un art révolutionnaire, l’art du peuple pour le peuple, l’art qui allait faire l’éducation du peuple…
    Il parlait tout en tournant, l’étourdissait de mots. Puis, d’un coup, il se taisait. Il guettait sa réaction entre ses paupières mi-closes. Ils étaient presque de la même taille, pourtant elle se sentait incroyablement menue entre ses bras. Ils devaient former un drôle de couple. Si l’on pouvait appeler ça un couple. Plutôt le dandinement bancal d’un gros chat et d’une souris pas encore croquée !
    Une pensée qui la fit rire. Cela plut à Staline. Ils rirent ensemble, soudain plus légers.
    Il se remit à parler. Il parlait plus vite qu’il ne dansait. Le théâtre se souvenait trop des ennemis de la Révolution. Mais on y prenait plaisir quand même, lui le premier. Qu’est-ce qu’elle aimait ? Le cœur ardent  ? Brousski , de Panferov. Non, encore mieux :

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