L’Inconnue de Birobidjan
eux comme si elle possédait un mécanisme. Pour la première fois, Staline posa ses lèvres sur son épaule nue.
â Si tu joues au cinéma, câest ici que je te verrai.
Ensuite, lorsquâil fit glisser sa robe, lâattira vers les coussins du divan, il y eut un peu de gêne. Il lui baisa encore les épaules, le cou. Chercha à envelopper ses seins. Rien de brutal. Seulement un peu de maladresse, de précipitation. Quand elle fut presque nue, il sâapaisa. Ses caresses devinrent plus lentes. Sans oser croiser son regard, il voulut savoir si câétait la première fois.
â Non, nonâ¦
Elle entendit sa propre voix. Un coassement bas, un souffle qui sortait dâune caverne. Il ne lui demanda pas comment cela se pouvait. à son âge. Tant mieux. Mais quand il chercha sa bouche, elle se mit à trembler. Il eut de nouveau son rire de gamin.
Â
Elle ne dormait pas vraiment. Elle sombrait puis avait lâimpression de se réveiller presque aussitôt. Lâécran reflétait toujours le peu de lumière des veilleuses. Elle parvenait à peine au fond de la salle et au divan où ils sâétaient affalés.
Il sâétait endormi dâun bloc malgré lâinconfort de leur position. Longtemps, il lâavait tenue enlacée, rivée à lui. Elle nâosait pas bouger de peur de le réveiller. Elle voulait aussi éviter de penser. Lâépuisement lâavait finalement entraînée dans un sommeil pâteux. On eût dit quâelle sâenfonçait dans une eau épaisse avant de remonter. Au bord de la surface, elle était sur le point de se réveiller. Elle avait à nouveau conscience du corps lourd qui pressait ses flancs.
Il dormait la tête reposée contre sa poitrine. Il avait gardé sa chemise, seulement déboutonnée. Son buste dessinait une masse plus sombre dans la pénombre. Par instants, il ronflait. Un souffle chargé de vodka. Elle nâosait pas le toucher. Non quâil soit repoussant ou quâil lui répugne. Rien de tout cela. Simplement, il lui était redevenu totalement étranger. Comme sâil nâétait pas tout à fait humain. Comme si elle avait une sorte de statue contre elle.
Elle leva son bras libre pour se dégourdir lâépaule. Dans lâobscurité, sa chair nue flamboya comme de la craie. Elle voulait fuir les images qui lui revenaient. Ne pas penser à quoi elle ressemblait maintenant. Elle ne devait plus se laisser aller au sommeil. Ne pas risquer dâêtre endormie quand il ouvrirait les yeux.
Peut-être avait-elle somnolé un peu quand elle entendit un bruit. Une sorte de frôlement. Comme une porte quelâon ouvre avec précaution. La peur la réveilla pour de bon. Elle se redressa autant quâelle put. Scruta la pénombre. Guetta lâapparition dâune silhouette, dâune ombre devant lâécran entre les sièges.
Non. Rien. Une illusion.
Elle se laissa retomber contre les coussins. La lourde tête avait roulé sur sa poitrine. Il grommela sans se réveiller. Sa moustache lui frôlait la pointe dâun sein, irritante. Elle se dégagea avec précaution, le retenant par son épaisse chevelure. Mon Dieu, on aurait cru une mère repoussant son petit enfant trop gourmand ! Elle battit des paupières pour éloigner le picotement des larmes.
Si seulement il existait une formule magique qui eût pu transformer cette nuit en une simple folie de lâimagination !
Sa main restait dans ses cheveux. Elle nâosait pas la retirer de crainte que sa tête bascule en arrière pour de bon. Quâallait-il penser dâelle, à présent ? Allait-il vraiment écrire à Boulgakov ? Peut-être avait-il raison, elle devrait chercher des rôles au cinéma.
Elle lâimagina, ici, dans cette salle, assis dans un de ces fauteuils au milieu des autres, les Mikoïan, Kalinine, Vorochilov, Molotov, tandis quâelle apparaissait sur lâécran. Peut-être souhaiterait-il la revoir ? Demanderait-il à Egorova de la conduire à nouveau jusquâici ?
Mais les cris de Nadedja Allilouïeva, sa rage, elle nâarrivait pas à les oublier. Elle frissonna, pressa instinctivement la tête du dormeur contre elle. Egorova avait dit : « La plus grande diva de la jalousie que saint Lénine ait
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