L’Inconnue de Birobidjan
enfantée. »
Pas une jalousie sans raisons !
Tu me tues, Iossif ! Tu es un boucher ! Tu me tortures, tu tortures le monde entierâ¦
Elle ferma les yeux. Rêva encore dâune magie qui lâextirperait du Kremlin pour la déposer dans sa chambre en un clin dâÅil. Si seulement cela pouvait arriver !
Elle ignorait lâheure. Elle nâavait pas de montre, et lui, sâil en avait une, elle nâétait pas à son poignet. On ne devaitplus être loin de lâaube. Elle devait tenir jusquâau matin. Tenir encore quelques heures et puis, qui sait, peut-être deviendrait-elle la reine du théâtre ?
Â
Le bruit des voix dans le couloir les réveilla à la même seconde. Finalement, elle sâétait endormie. Staline se dressa sur un coude. La surprise de la découvrir nue contre lui ne demeura sur ses traits quâune ou deux secondes. Marina évita son regard, sâassit en refermant ses bras sur ses seins. Lâair de la salle était lourd, désagréable à respirer.
Les voix enflaient derrière la porte. Des voix dâhommes, des voix de femmes. Avec des pointes aiguës, impatientes, suivies de murmures. Impossible de comprendre ce quâelles disaient.
Staline se passa la main dans les cheveux et sâassit sur le divan à son tour. Elle sâécarta pour lui laisser plus de place. Il ne chercha pas à la toucher ni même à lui parler. Il ramassa ses vêtements sur le sol, son pantalon, sa tunique. Il se mit debout pour se rhabiller.
Dehors, les voix continuaient à bourdonner. Marina trouva sa robe et sa culotte. Elle les enfila tandis que Staline tirait un peigne de sa vareuse et se recoiffait soigneusement. Du plat de la main, il sâassura quâaucune mèche ne dépassait. Elle cherchait encore ses chaussures quand il marcha vers la sortie. Il ne se souciait pas dâelle. On aurait dit quâelle était devenue transparente. Une ombre dans lâombre.
Quand Staline ouvrit la porte, les voix se turent aussitôt. La lumière du couloir éblouit lâécran. Une voix de femme sâécria : « Iossif ! Oh, Iossif Vissarionovitch ! »
Marina lâentendit qui grognait, demandait ce quâil se passait. Agenouillée sur le tapis, elle avait enfin trouvé ses chaussures sous un siège. Sa tête bourdonnait. Des petits coups frappaient ses tempes, lui rappelant la vodka bue durant la nuit.
Dans le couloir, la voix de Staline domina celles des autres. Il posait des questions que Marina ne comprenait pas. Il semblait aussi que personne ne répondait.
Elle se rendit compte que ses doigts tremblaient. Peut-être commençait-elle à avoir peur. Elle sâassit par terre pour enfiler ses souliers. Elle avait mal partout. Son dos, sa nuque, ses fesses, ses reins. Comme si elle était tombée de haut et avait roulé sur des cailloux.
Dans le couloir, plus personne ne parlait ni ne criait. Seulement le bruit des pas qui résonnaient en sâéloignant. Ils levaient le camp sans se soucier dâelle ! Quâest-ce quâelle devait faire, à présent ? Et sa cape qui était restée dans lâappartement des Vorochilov !
Elle se releva à lâinstant où une silhouette pénétrait dans la salle. Elle la reconnut dès quâelle se profila sur le reflet de lâécran.
â Galia !
â Chuuutt ! Tais-toi !
Egorova se précipita vers elle, chuchotant :
â Vite, Marinotchka ! Il ne faut pas traîner ici.
â Quâest-ce quâil y a ? Que se passe-t-il ?
â Plus tard, plus tard !
Egorova était sans maquillage. Les traits tirés, un foulard lui couvrant les cheveux. Elle était enveloppée dans une grosse cape ordinaire. Elle lâécarta pour en sortir celle de Marina roulée en boule.
â Enfile ça, dépêche-toi
â Maisâ¦
â Tais-toi. Pas maintenant⦠Viens !
Elle sâassura que le passage était vide avant de la pousser hors de la salle de cinéma. Comme la veille, à leur arrivée, elles sâenfoncèrent dans le labyrinthe des corridors. Cette fois, Egorova prit soin dâéviter les soldats de garde. Elles empruntèrent des couloirs de service sans lumière. Egorova avait attrapé la main de Marina et ne la
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