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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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tendre les mains, paumes offertes. Dans un même réflexe, chacun y avait cherché les traces des plaies que son amant, Kapler, avait si bien soignées. Il ne fallait pas beaucoup d’efforts pour l’imaginer sur scène. Pourtant, dans la seconde suivante, sa voix faisait frissonner. On n’y percevait plus que la perte et une tristesse obsédante.
    Maintenant, le front incliné, elle se taisait. Un visage de femme dans l’abandon. Elle caressait machinalement la carafe vide devant elle. Aujourd’hui, elle n’avait pas manqué d’eau. Quelqu’un y avait veillé. Ses menus mouvements de la main, ses joues trop pâles, l’ourlet de ses lèvres, la blancheur de son cou dévoilé par le col avachi de la robe, tout en elle dégageait une sensualité vulnérable, un peu lasse, qui vous contraignait à détourner les yeux.
    Les mains suspendues au-dessus de sa machine de sténo, Shirley se retourna vers moi. Nos regards se croisèrent. L’émotion mouillait ses yeux. Je me forçai à sourire. Pour un peu, on aurait applaudi.
    Oui, Marina Andreïeva Gousseïev était une fichue bonne actrice.
    Mais en face d’elle, elle avait des loups. Et quelque chose ne tournait pas rond. Ces messieurs avaient été sages comme des collégiens. Bien trop sages. Une sagesse qui ne devait rien au talent de Marina, ni à une intervention divine. J’en aurais mis ma main à couper.
    Une audience de l’HUAC, c’était un chaudron de questions. Loi numéro un : mettre le témoin sur le gril. Ne pas le laisser respirer, ne pas le laisser penser. Briser ses phrases,l’empêcher d’être cohérent, le contredire, le rendre fou. Pourquoi Wood avait-il retenu Cohn ? Pourquoi Nixon et McCarthy n’avaient-ils pas ouvert la bouche ?
    McCarthy avait à peine écouté Marina. Son attention paraissait concentrée sur ce gros dossier qu’il avait devant lui. J’aurais donné cher pour savoir ce qu’il contenait. À plusieurs reprises, il en avait tiré des feuillets pour les glisser à Nixon et à Wood. L’un et l’autre, en retour, lui avaient adressé des coups d’œil approbateurs. Et maintenant Wood faisait tomber son maillet.
    â€” Ça suffira pour aujourd’hui. Nous vous avons écoutée longuement, Miss Gousseïev. À l’avenir, je vous demanderai d’être plus succincte dans vos déclarations. Vous n’êtes pas ici pour épancher vos souvenirs, et les histoires de Juifs ne nous intéressent pas.
    Cette fois, Nixon et McCarthy rigolèrent franchement. Wood se tourna vers Cohn.
    â€” Demain, concernant ce Birobidjan, je souhaite que l’on entende votre spécialiste de la CIA avant le témoin, procureur Cohn.
    â€” Il sera là, monsieur.
    â€” Et capable de nous donner des précisions sur la mission de cet agent de l’OSS ?
    â€” Je l’ai demandé.
    â€” Donc, la séance est levée. L’audition reprendra demain matin à onze heures.
    Les flics étaient déjà derrière Marina. Elle se dressa dans sa robe chiffonnée. Les menottes claquèrent sur ses poignets ; elle grimaça. Je ne pus m’empêcher de la suivre des yeux jusqu’à la porte.
    McCarthy refermait déjà son dossier en parlant bas avec Nixon. Les autres sénateurs les entourèrent. Wood parut découvrir ma présence.
    â€” Monsieur Kœnigsman, l’audience est close. Nous vous prions de quitter la salle. Les membres de la Commission ont à délibérer à huis clos.
    J’enfournai mon carnet de notes dans ma serviette et vissai mon chapeau sur mon crâne. Shirley retirait la bande de sa sténotype. Elle me lança un clin d’œil quand je la frôlai.
    Des collègues faisaient le pied de grue derrière la porte de la salle. Il me fallut subir les plaisanteries habituelles sur le copinage et les passe-droits des New-Yorkais. Une jalousie qui ne me déplaisait pas.
    Je lâchais quelques niaiseries pour m’en débarrasser. Non, la Russe n’avait pas avoué qu’elle était une espionne. Oui, les membres de la Commission étaient toujours convaincus qu’elle en était une. Non, elle n’avait encore rien dit au sujet de l’agent de l’OSS… Je me défilai pour rejoindre le parking.

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