L’Inconnue de Birobidjan
La voiture de Shirley nâétait pas la plus difficile à repérer : un convertible Ford de 46 couleur framboise avec une capote crème. Un grigri navajo en perles de topaze pendait au rétroviseur. Un porte-bonheur que jâavais offert à Shirley trois mois après notre première nuit ensemble. Il était toujours là .
Elle me rejoignit sans se presser. à la voir chalouper entre les voitures, élégante et légère, jâeus un pincement de regret. Ou de jalousie.
Elle eut un sourire innocent.
â Tu as conscience quâil ne te reste plus que vingt-quatre heures avant de mâouvrir la porte du restaurant ?
â Je ne tâouvrirai pas la porte. Chez Georges, des types en tenue dâamiral sont payés pour ça. Tu peux préparer ton nécessaire à maquillage : vingt heures trente demain.
Elle glissa sa clef dans la serrure de la Ford et se débarrassa de son gros sac. Shirley me connaît trop bien. Elle nâattendit pas que je lui pose la question pour mâannoncer :
â Impossible de savoir de quoi ils discutent. Ils sont toujours dans la salle, mais seulement entre eux. Wood nous a fichues dehors nous aussi.
Je mây attendais. Ce nâétait pas plus plaisant.
â Tu nâen as aucune idée ?
â Aucune. Tout ce que je peux te dire, câest que McCarthy et Nixon étaient dans le bureau de mon patron ce matin à neuf heures et demie. Le sénateur Mundt les a rejoints une heure plus tard. Ils ont passé plusieurs coups de fil. Dont deux au FBI et un au CID, la police militaire.
Je souris. Je pouvais faire confiance à la curiosité naturelle de Shirley.
â Cohn nâétait pas avec eux ?
Elle secoua la tête.
â Ce dossier que lisait McCarthy pendant que Marina parlaitâ¦
â Ah ? Vous en êtes déjà au prénom ?
â Nous avons entamé une relation télépathique⦠Sérieusement, Shirley. McCarthy avait déjà ce dossier sous le bras en arrivant chez ton patron ou il est ressorti du bureau de Wood avec ?
Elle eut un rire moqueur, ferma les paupières. Impossible de savoir si câétait pour chasser quelque idée mauvaise ou pour mieux se rappeler.
â Il lâavait.
â Merci.
â Pas de quoi. Je mets ça sur ta note. En plus du restaurant, cela va de soi.
Un terrain glissant. Je préférais éviter.
â Shirley, tu as déjà assisté à une audition où on ne coupe pas la parole à tout bout de champ au témoin ?
â M-mm⦠Câétait bizarre, câest vrai. Mais elle raconte drôlement bien. On ne se lassait pas de lâécouter. Mundt soufflait comme une mamie devant le meilleur épisode de son feuilleton radio.
â Oui, mais Mundt nâa rien dit. Comme les autres. Pas un mot. Pourtant, tu peux parier que Nixon et McCarthy ne sont pas des amoureux du théâtre.
â Câest ce que tu penses, quâelle joue ?
Je grommelai sans répondre. Shirley me sourit, amusée. On se tut quelques secondes.
â Aide-moi à baisser la capote de la voiture, veux-tu ?
Quand ce fut fait, Shirley prit un foulard dans son sac et le noua sur sa tête. Elle vérifia dans le rétroviseur que sa mèche tombait naturellement sur son front et montra une nouvelle fois sa capacité à deviner mes pensées.
â Dis toujours, Al.
â Quoi donc ?
â Ce que tu veux me demander mais que tu hésites à me demander. Je te dirai si câest dans tes moyens.
Je ne peux mâempêcher de rire. En vérité, je dus me retenir pour ne pas lui plaquer un baiser dans le cou. Ãa, ça nâétait pas du tout dans mes moyens.
â OK. Tu as vu sa robe ? Demain, elle aura lâair dâun sac abandonné à Central Station. On croirait que personne ne se soucie de lui passer du linge propre.
â Comment ça se fait ? Elle doit bien avoir une ou deux copines. Les actrices ne sont pas des filles solitaires.
Shirley avait raison. Les acteurs et les actrices vont en bandes. Marina avait certainement des collègues, peut-être même des amies, parmi ceux de lâActors Studio. Mais câétait lâun des effets dâune convocation devant la Commission. Soudain, vous nâaviez plus dâamis,
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