L’Inconnue de Birobidjan
à peine quelques connaissances. Parfois plus de famille. Maintenant que Marina était derrière les barreaux, le désert allait sâétendre à perte de vue autour dâelle.
â Je ne peux pas me pointer chez elle pour vider ses placards, Shirley. Tu saurais deviner sa taille ?
Elle hocha la tête.
â La mienne, à peu près. En plus maigre et plus osseuse, non ?
Son ton en disait plus long que je ne le devinais.
â Elle doit pouvoir porter mes vieilles robes. Ãa suffira ou tu es prêt à investir ?
Je me suis senti bêtement rougir.
â Peut-être quâil vaudrait peut-être mieux que tu⦠Pour les bas⦠Pour lesâ¦
Je ne suis pas spécialement pudique ou timide. Mais jâeus du mal à prononcer les mots. Je sortis précipitamment mon portefeuille, évitant le regard de Shirley. Elle sâempara des billets en gloussant. Je jetai un coup dâÅil à ma montre.
â Je passe chez toi dans deux heures, ça ira ?
Elle opina en sâasseyant dans la Ford. Je remarquai seulement que son foulard était assorti au rouge framboise du convertible. Avant de tirer sur le démarreur, elle me saisit le poignet.
â Al, dis-moi quelque chose. Sans mentir.
â Promis, juré.
â Tu en ferais autant pour moi ?
â Shirley ! Tu ne te retrouveras jamais accusée dâespionnage devant ces fous furieux.
â Il y a plein de moyens de se retrouver en prison, Al. Lâhomicide pour jalousie est très courant.
â En ce cas, je ferais mieux que tâapporter une valise. Je te fournirais un bon avocat.
Â
Â
Câétait ce que je mâapprêtais à faire pour Marina.
Je rejoignis ma propre voiture. Un coupé Nash vert sombre dont jâétais assez fier. Dans la matinée, avant lâaudience, jâavais pris rendez-vous avec T. C. Lheen. Bien peu connaissaient ses véritables prénoms, Theophilius Clarendon.
Longtemps, lâarme absolue de T. C. avait été dâêtre un petit homme rond, chauve et disgracieux. Des lunettes cerclées dâécaille distordaient son regard de myope. Quand il souriait, sa bouche, à peine dessinée, sâeffaçait pour de bon. Il usait jusquâà la corde les mêmes costumes passe-partout, et on ne lui connaissait quâune douzaine de cravates. Une apparence des plus trompeuses. Sous son crâne rond et nu sâagitait une intelligence réjouissante.
Il approchait de la soixantaine et était lâun des hommes les mieux informés de Washington. Comment sây prenaitil ? Mystère. La liste de ceux qui se repentaient de lâavoir sous-estimé était désormais trop longue pour quâil puisse surprendre encore. Depuis quelques années, il se tenait dans une demi-retraite. Il ne sâintéressait quâaux cas assez désespérés pour avoir toutes les chances de mordre la poussière. Il était plein aux as et lâargent ne lâavait jamais attiré. Lâorgueil était son unique moteur. Cet orgueil particulier des êtres à part qui se savent irrémédiablement exilés du reste du troupeau.
Je lâavais connu avant la guerre. On ne peut pas prétendre que nous étions amis. T. C. Lheen nâa jamais été assez sentimental pour avoir des amis. Pour ainsi dire, on sâaccordait un respect mutuel devant notre manière à chacun de négocier les tournants de lâexistence. Plus dâune fois nous avions eu lâoccasion de nous rendre de menus services. En deux ou trois occasions, T. C. avait fait plus que me rendre service. Et si Marina Andreïeva Gousseïev était aussi innocente quâelle lâaffirmait, personne ne pourrait mieux la tirer des griffes du diable que T. C. Lheen.
Il habitait à lâextrémité du Georges Washington Memorial Parkway. Sa maison disparaissait sous les arbres centenaires. Ulysse, un serviteur noir en nÅud papillon et costume blanc impeccable, me salua en habitué de la famille. Il me conduisit au bord de la piscine. Elle surplombait le Potomac et la longue rive boisée du nord. Ce lieu parfait et des serviteurs à lâélégance princière étaient les seuls luxes que je connaissais à T. C.
Il lisait dans une bergère dâosier. En guise de salut, il mâindiqua un fauteuil en
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