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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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venir ici, c’est grâce à lui. Il a émigré au Birobidjan juste avant la guerre. Avant, il dirigeait le théâtre juif de Lipestsk. Tout le monde dit que c’est un grand directeur. Mais en fait, il est écrivain. Presque un poète. Il écrit des pièces en yiddish. Il a même traduit Les Trois Sœurs de Tchekhov, et sur l’affiche il y a écrit fartaïtcht un farbesert , « traduit et amélioré », par Metvei Levine. Tu verras…
    Le serveur déposa des verres de thé devant elles. Frissonnante, Marina serra le sien entre ses mains glacées. Nadia se tut, avala de petites gorgées fumantes en l’observant de ses immenses yeux noirs scintillants de curiosité.
    â€” Tu lui as plu, reprit-elle. Je l’ai vu tout de suite, que tu lui plaisais. Il est tellement content d’avoir une nouvelle actrice. Et qui vient de Moscou !
    Elle eut une grimace enfantine.
    â€” Il est beau, n’est-ce pas ? Toutes les femmes de Birobidjan le trouvent beau. Il faut dire qu’ici, un homme comme lui…
    Elle s’interrompit, rougissante. Marina sourit.
    â€” Il t’a appelée Nadia, mais…
    â€” Nadia Sarah Leventhal. Je vais bientôt avoir dix-neuf ans. Je veux devenir institutrice. Je n’en croyais pas mes yeux, tout à l’heure, sur le quai, quand la politruk t’a fait descendre du train. Si Metvei n’avait pas insisté, en ce moment tu filerais vers Khabarovsk avec les autres. Je croisque la grosse Zotchenska – c’est son nom, à la politruk : Mascha Zotchenska – le craint un peu. Ou peut-être qu’elle est amoureuse de lui ? Comme toutes les autres…
    Le rire de Nadia était doux et cruel, plein de jeunesse. Depuis quand Marina n’avait-elle plus entendu cette joie, cet appétit de vivre ?
    Â 
    Quand Marina se fut réchauffée, Nadia l’entraîna à travers les rues de Birobidjan.
    â€” Viens, il faut préparer ta chambre avant la nuit. Il fait nuit très tôt, ici. Et on n’a pas beaucoup de lumière dans les chambres. Il faut faire attention.
    En ce mois de janvier 1943, Birobidjan était une bourgade transie et terrée sous la neige. Le soleil rasant de l’après-midi déformait les ombres dans les quelques rues tout en longueur. On y croisait peu de monde. Dans la très large avenue face à la gare, des silhouettes pressées filaient, inclinées sous des sacs à dos. Des enfants allant faire une course surgissaient au coin des rues perpendiculaires. Un traîneau aux clochettes bruyantes. Un vieil homme suivi d’une mule à la hure prise de givre qui répondit d’un grognement inaudible au salut de Nadia.
    Ã‰trangement, derrière les talus de neige, il semblait y avoir plus d’arbres que de maisons, comme si le bourg surgissait de la forêt. Toutes les constructions étaient en bois et beaucoup n’étaient pas encore terminées. Nadia pointa du doigt une grande étendue plate qui cessait brusquement à la lisière d’une forêt de bouleaux.
    â€” C’est notre fleuve : la Bira. Pas le fleuve Amour ! Ne te trompe pas, gloussa-t-elle sous sa capuche de fourrure. Pour l’Amour, il faut aller plus loin. Bien plus loin ! Demain, je t’y emmènerai. Tous les jeunes de Birobidjan s’y retrouvent pour faire du patin, les garçons comme les filles. Viens, on va par là, maintenant.
    Elles s’engagèrent dans une autre rue, plus étroite, bordée de bâtisses de rondins. Certaines étaient peintes de couleursvives, d’autres, récentes, laissaient voir le bois noirci par l’humidité. D’autres encore, inachevées, ne possédaient pas de toit, et leurs charpentes surgissaient dans le bleu du ciel comme des pattes d’insectes géants. Ici et là, derrière d’épais volets entrebâillés, on devinait des ateliers, des petits commerces. Et partout des écriteaux en russe et en yiddish.
    â€” Tout ce dont on a besoin, on le trouve au grand marché, déclara Nadia. C’est l’endroit que j’aime le plus dans Birobidjan. C’est juste un hangar avec un toit immense, mais quand tout le monde est là, à vendre et à échanger, c’est comme une fête. En hiver, un peu moins, bien sûr. Ceux qui se sont installés dans des

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