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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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fermes viennent moins souvent. Avec la neige et les traîneaux, c’est pas facile. Voilà, on arrive chez nous…
    La datcha principale était de celles construites par les premiers immigrants, au début des années 30. Pour cette raison, elle avait été dévolue à l’accueil provisoire des nouveaux venus.
    â€” Mais tu sais comment c’est, le provisoire. Moi, je suis là depuis deux ans, et je ne sais pas jusqu’à quand encore. Chaque fois que j’en parle à Metvei, il me dit : « Pourquoi veux-tu partir d’ici, c’est très bien pour une jeune fille… » Je suppose qu’ils me laisseront là jusqu’à ce que je me marie ! Toi, tu auras peut-être plus de chance.
    Ici comme à Moscou, ou dans n’importe quelle ville d’Union soviétique, la plupart des gens vivaient dans des maisons communes. Cependant, les datchas spécifiquement construites pour la vie communautaire étaient mieux conçues que les immeubles bourgeois aux appartements massacrés, transformés en taudis pour entasser le plus de familles possible. Ouvrant de part et d’autre d’un grand couloir central, les chambres étaient spacieuses. Chacune possédait la même petite lucarne, un lit monté sur un coffre, une table, des rayonnages. La cuisine commune, seule pièce à être dotée de l’électricité, possédait plusieurs foyers, une longue table et des bancs. Des braises rougeoyaient dansdeux grands samovars. De lourds vaisseliers peints étaient surchargés de vaisselle, les murs décorés d’images découpées dans des revues. L’inévitable portrait de Iossif Vissarionovitch était suspendu tout près du plafond, entre deux poutres, ce qui ôtait beaucoup d’élan à son regard.
    Nadia ne tenait pas en place. Elle empoigna la main de Marina et l’attira à l’autre bout du couloir en faisant la grimace.
    â€” Je vais te montrer tout de suite ce qui ne va pas te plaire, annonça-t-elle.
    C’était la salle d’eau commune. Il n’y avait ni lavabo ni baignoire. En guise de douche, un baquet de zinc était fixé sur un portique. Il fallait le remplir d’eau chaude pour qu’il se vide par un tuyau de caoutchouc rose. Le sol de bois était spongieux, gorgé d’humidité glacée. De vieux miroirs pendaient au mur.
    â€” En été, ça va encore, mais maintenant… Tu feras comme nous. On garde une cuvette d’eau dans notre chambre pour tous les jours, et quand on veut être propres, on va à l’isba chaude. Pour les filles, c’est le vendredi, la veille du shabbat. Même si personne ne fait shabbat. C’est bien, on est entre femmes. Il y en a qui savent masser. Tu aimeras, j’en suis sûre…
    Marina dut tenir encore quelques heures avant de pouvoir s’allonger sur son lit.
    Le premier vrai lit depuis deux semaines. Une couche de laine qui ne bougeait pas, qui tenait chaud. Entourée de silence.
    La tête lui tournait. Nadia avait tourbillonné autour d’elle pour installer sa chambre. Même s’il y avait eu très peu à faire. Quelques autres locataires de la datcha, toutes des femmes, étaient venues la saluer. On lui avait apporté du thé, des biscuits. On s’était enquis d’où elle venait et pourquoi. Nadia avait répondu à sa place. Avait raconté par le menu l’arrivée à la gare. Les femmes avaient embrassé Marina. Qu’elle fût actrice ne les impressionnait pas et lesravissait. Elles lui vantèrent le théâtre : le plus beau bâtiment de Birobidjan. Elle verrait demain. Comme tant de choses. Toute une vie commençait.
    â€” Sois la bienvenue à Birobidjan ! Dieu te bénisse ! Si tu as besoin de nous, tu demandes. Ici, il faut s’entraider. On est là pour ça. Au début, ce n’est pas facile, mais tu verras, on s’y fait. Ce n’est pas si mal. Par ces temps d’enfer, tu peux bénir le Ciel qui t’envoie ici, ma fille. Il y en a qui sont bien plus mal lotis !
    Et aucune n’avait soupçonné que Marina Andreïeva Gousseïev n’était pas juive. Déjà, comme si sa seule présence valait toutes les preuves, elle était des leurs. Elle devenait une autre.
    Â«Â Le Ciel qui t’envoie ici… »

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