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L’Inconnue de Birobidjan

L’Inconnue de Birobidjan

Titel: L’Inconnue de Birobidjan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: MAREK HALTER
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Nadia fixait Marina avec fascination. Elle lui recouvrit les épaules de la couverture bariolée. Marina l’enroula contre sa poitrine. Klitenit l’observait. Il inspira une longue bouffée de sa cigarette, puis en exhala la fumée, qui s’accrocha aux poils de sa moustache.
    â€” Tu veux la vérité, camarade ? La vérité, c’est qu’on n’en sait rien, de ce qu’ils deviennent. Une chose est sûre : ils auraient mieux fait de ne pas mettre les pieds dans ce train.
    â€” Peut-être qu’ils n’avaient pas le choix ?
    â€” C’est possible. Très possible. Mais nous non plus, on n’a pas toujours le choix.
    Sans un mot de plus, il s’éloigna. Nadia tira Marina par le bras.
    â€” Il ne faut pas rester ici. Tes larmes gèlent sur tes joues. Elles vont t’arracher la peau.
    De la pointe des doigts, Marina tâta la pellicule craquante de larmes gelées. Elle pleurait sans s’en rendre compte. Nadia lui retint le poignet.
    â€” Surtout, ne touche pas ! Tu vas te déchirer la peau et tu auras le visage couvert de croûtes.
    Ensuite, pendant un long moment, ce fut comme une nausée d’ivresse. Marina ne résista pas quand Levine et Nadia la poussèrent tel un pantin dans la gare. Après tant de jours passés à lutter contre le froid, Marina suffoqua dans la chaleur du hall. Ne plus sentir le ballant du train, ne plus respirer la puanteur du wagon, l’odeur de métal chaud, de la rouille et de la suie, lui fit tourner la tête. Elle eut à peine conscience des regards qui la scrutaient lorsqu’ils traversèrent le hall d’accueil où un immense portrait de Staline recouvrait un mur. Avec ses tables rondes drapées de nappes blanches, la salle du buffet lui parut aussi aveuglante que la taïga enneigée.
    Ã€ la demande de Nadia, un serveur aux traits asiatiques apporta un bol d’eau à peine tiède. La jeune fille y trempa un mouchoir, l’imprima sur les joues de Marina. La glace des larmes fondit. Marina gémit. Il lui semblait que mille aiguilles piquaient sa chair.
    Un autre portrait de Staline était suspendu au-dessus du bar. Une photographie retouchée peinte avec des tons doux. Il y apparaissait jeune, tendrement souriant. Plus jeune et plus tendre qu’il l’avait été quand Marina s’était trouvée nue sous ses mains. Et ses yeux, d’où qu’on se trouve dans la salle du buffet, paraissaient pouvoir vous fouiller jusqu’aux tréfonds de l’âme.
    Pendant quelques secondes, Marina eut la sensation délirante qu’il la regardait bel et bien. Un sanglot de panique retenu depuis des heures, des jours et peut-être bien des années, manqua de l’étouffer. Nadia redoubla ses caresses, Levine s’agenouilla. Toute la salle maintenant les observait. Marina marmonna des mots heureusement incompréhensibles. Ou peut-être ne les prononça-t-elle pas, s’adressant seulement mentalement à Iossif Vissarionovitch : « Tu vois, je suis là. Tu l’as voulu, je suis là ! »
    Nadia et Levine se méprirent, murmurèrent qu’elle ne devait plus rien craindre, que tout allait bien se passer, qu’elle était désormais en sécurité.
    â€” Personne ne te fera repartir de Birobidjan, je te le promets, assura Levine en lui serrant les mains avec chaleur.
    Les yeux clos elle approuva, chassant du mieux qu’elle le pouvait cette folie du regard de Iossif Vissarionovitch qui lui brûlait la poitrine. Nadia lui baisa la joue, Levine se redressa en souriant de toute sa beauté.
    â€” Nadia va s’occuper de toi, Marina Andreïeva. Elle te montrera tout ce dont tu auras besoin. Tu verras, c’est unefille formidable. Par chance, il y a une chambre libre juste à côté de la sienne dans la datcha principale. Tu pourras t’y installer à ton aise. Et je t’attends au théâtre demain matin tôt. Nadia t’y conduira.
    En un geste cérémonieux, inattendu, Levine lui saisit à nouveau la main et s’inclina comme s’il allait lui faire un baisemain. Des regards le suivirent jusqu’à la porte. Nadia annonça :
    â€” C’est mon cousin.
    Marina demeura sans réaction. La jeune fille précisa :
    â€” Metvei : c’est mon cousin. Si j’ai pu

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