L’Inconnue de Birobidjan
couverture sur les épaules de Marina.
â Camarade actrice Marina Andreïeva Gousseïev ?
La jeune fille sâécarta pour laisser place à deux hommes. Lâun dâeux était âgé, petit, un visage de paysan, creusé derides mais le regard clair sous de gros sourcils broussailleux. Lâautre devait avoir à peine plus de trente ans. Un homme dâune parfaite beauté. Un visage de prince aux yeux dorés, une bouche mobile, des lèvres ourlées, vaguement féminines, des épaules hautes, fermes. Marina murmura que oui, câétait elle. Le froid lui durcissait le menton.
â Sois la bienvenue au Birobidjan, camarade Gousseïeva !
â Bienvenue ? Iciâ¦
Il rit. Un beau rire de gorge, profond, comme on les travaille pour la scène.
â De quoi es-tu surprise, camarade ?
Marina chercha le regard de lâautre homme. Il demeura impassible. Elle serra la couverture autour dâelle. Elle tremblait de tout son corps.
â à Yekaterinaslavka, on nous a dit que ce nâétait pas possible, que Birobidjan était « zone militaire interdite ». Quâon ne nous laisserait même pas descendre du trainâ¦
â Eh bien, tu vois, tu es descendue !
Le jeune homme souriait. Un sourire léger, gracieux. Il tenait la lettre de Mikhoëls dans sa main gantée.
â Il y a toujours des malentendus. Ceux de Yekaterinaslavka font comme sâils ne comprenaient pas. Câest vrai, nous sommes en zone militaire. à cause des Japonais, comme tu dois le savoir. Lâentrée de nos camarades non russes y est interdite jusquâà la fin de la guerre. Mais ça ne te concerne pas. Tu nâes pas une immigrante étrangère, camarade Gousseïeva. Ton passeport intérieur dit que tu viens de Moscou. Tu as une lettre dâembauche de Solomon Mikhoëls pour notre théâtre⦠Câest tout à fait différent.
Il inclina la tête et le buste en un salut théâtral, tendit la main à Marina.
â Je suis Metvei Levine, directeur du théâtre yiddish de Birobidjan. Ton directeur, si tu le veux bien.
Le sourire était aussi éclatant que la neige, la main longue et nerveuse. Marina tendit la sienne, abasourdie. Lâhommeaux gros sourcils agita un journal en yiddish quâil tenait dans sa main gantée et déclara :
â La camarade devra quand même se présenter devant le comité, Metvei. Se présenter et être acceptée par la commissaire. Il ne faudrait pas lâoublierâ¦
Une voix rabotée par le tabac, habituée à donner des ordres. Levine approuva dâun signe.
â Je te présente Shmuel Klitenit, camarade Marina Andreïeva. Shmuel a raison. Il connaît toutes ces procédures : il est le vice-secrétaire du comité de gestion de Birobidjan. Mais je suis certain quâil nây aura pas de difficultés.
Marina les écoutait à peine. Le froid lui serrait les tempes. La tête lui tournait. Les mots entraient en elle comme des aiguilles. Elle nâétait pas certaine de comprendre. Elle nâallait donc pas repartir ? Elle allait rester au Birobidjan ?
Le soleil sur la neige du quai était aveuglant. Le long du convoi les portes des voitures sâouvraient, les soldats accompagnaient les femmes qui allaient chercher du bois. Les bras chargés de bûches, certaines se tournaient vers lâavant du train, curieuses.
Des éclats de voix retentirent. La politruk et le capitaine réapparurent sur le marchepied du wagon. Ils sautèrent sur le quai. Le groupe dâhommes et de femmes, qui se relayaient pour ne pas déposer les bassines de soupe dans la neige glacée, sâapprocha de la porte coulissante. Des phrases en yiddish fusèrent. Tout le monde parlait en même temps. Questions et réponses se mélangeaient. Des femmes pleuraient en sâembrassant, les hommes serraient des mains. Une fillette cria vers Marina :
â Pani Marina !
On la dévisagea avec surprise. Elle se tourna vers Levine et Klitenit.
â Eux, ils vont où ?
â Khabarovsk, comme prévu !
La politruk avait entendu sa question et y répondait avant les autres. Elle ajouta :
â Si tu as des bagages, tu ferais bien de les descendre avant la fin de la distribution de soupe. Le train repart
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