L'Insoumise du Roi-Soleil
mieux qu’un, ai-je pensé. Et ils confortaient mon idée :
— La cour, disiez-vous, peine à suivre le roi sur le terrain de la dévotion ?
— Nombreux freinent des quatre fers ! La messe est un pensum .
— Donc, s’ils en étaient dispensés, ils n’iraient pas ?
— Un jour sans messe ? Ils applaudiraient !
— Et le roi se retrouverait seul... Eh bien ! Voilà l’occasion de l’approcher.
Le marquis devint pâle et ce n’était pas à cause du manque de sommeil :
— Qu’avez-vous en tête ?
— Nous allons libérer les courtisans de l’obligation de se rendre à la messe.
Il haussa les épaules :
— Ils ne profiteraient pas de cette autorisation, lança-t-il agacé. Ils auraient peur de déplaire au roi !
— À moins de faire courir le bruit que par fait extraordinaire , le roi n’y est pas. Non ! écoutez-moi. Il faut un motif que tout le monde trouvera vrai tant il semblera possible. Tenez ! le roi réunit son Conseil pour une affaire grave et urgente. Mieux ! Il a la goutte, ce qui lui est déjà arrivé. Enfin ! vous trouverez...
Soudain, le marquis sembla parfaitement éveillé. Il plissa les yeux :
— Quand le chat n’est pas là, les souris dansent, se décida-t-il. C’est votre idée ?
— Un matin, le bruit court. Le roi est parti à l’aube inspecter ses armées qui cantonnent à Compiègne. Il rentrera demain. Le responsable de cette farce ? Personne, car le bouche à oreille a fonctionné. Or le roi n’a rien changé au programme. Il va à sa chapelle sans la cohorte des courtisans. Et je suis là !
Le marquis calculait, étudiait. Peu à peu, il se faisait à mon idée :
— Il est vrai que le roi s’y rend à pied en passant par ses appartements. Si on le croit absent, les couloirs resteront vides. Avant que les courtisans ne réagissent... Mais en supposant que ce stratagème fonctionne, il n’ira pas sans entourage.
— Dans cette posture nouvelle, il se trouvera isolé et moi, je serai seule. Je profiterai de ce moment si éloigné de l’étiquette et si différent de ce que j’ai vu ce soir. J’avancerai et je parlerai à ce roi seul, face à sa conscience, alors qu’il se présente à Dieu en simple pécheur, comme le lui a dit son confesseur. S’il le voit le vendredi, choisissons ce jour. Après, il faut croire à la chance. Je vous en supplie, dites que c’est possible ?
Il étudia la partie. Il compta les cartes, ramassa les plis. Et son étude prit fin :
— Cette idée est fatalement folle. Est-ce pourquoi elle me séduit ?
Oui, ce projet impossible aurait pu fonctionner, semblait-il me dire.
Mais des faits nouveaux et imprévisibles s’étaient produits à Versailles, cette même nuit, au moment précis où nous arrivions chez la marquise de Sévigné et que je croyais au bonheur.
1 - Ce dallage n’existe plus aujourd’hui.
2 - Le marquis de Penhoët fait sans doute référence au Concert de musique , tableau qui figurait dans le Salon de Mars, mais qui fut attribué plus tard à Lionello Spada.
T ROISIÈME PARTIE
Un secret d’État
X. Le premier jour d’une nouvelle vie
IL ME DONNE LA VIE
Le marquis de Penhoët descendit du carrosse et me raccompagna jusqu’au porche de la demeure de madame de Sévigné. Et lui, où logeait-il ?
— Nous venons de passer devant les fenêtres de mon appartement, sourit-il lorsque je l’interrogeai.
Il me montrait le début de la rue de la Couture-Sainte-Catherine.
— J’habite dans ce boyau de rue 1 qui, selon l’endroit, se fait appeler Saint-Antoine, porte Baudeer ou cimetière Saint-Gervais. D’ici, il suffit de descendre en direction de la Seine et de prendre à main droite. Vingt pas plus loin, vous trouverez l’hôtel de Beauvais. Mes fenêtres donnent sur la rue et leur balcon a une histoire. Le 26 août 1669, la cour y vit passer le roi et sa jeune épouse, l’infante Marie-Thérèse, lors de leur entrée à Paris après s’être mariés à Saint-Jean-de-Luz. La construction de cet hôtel venait de s’achever. Antoine Le Pautre l’avait bâti pour Catherine Bellier, baronne de Beauvais et femme de chambre d’Anne d’Autriche, la mère de Louis XIV. La baronne avait donc invité quelques membres de la cour à venir admirer le cortège royal. Et j’en étais. Douze ans plus tard, j’en vins à trouver comment me loger dans ce bel endroit. Le souverain l’apprit. Lors d’une Soirée d’Appartements, telle que celle que vous connûtes, il s’avança vers moi et se
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