L'Insoumise du Roi-Soleil
consulté le monde de l’au-delà...
— À Versailles ? Alors que le roi était présent ? Cette mode n’en finira donc jamais !
— Et cette aventure n’est pas sans rappeler ce que racontait l’abbé de Choisy au pire moment de l’Affaire des Poisons. Mais, Hélène, savez-vous à quoi nous faisons référence ?
— J’imagine qu’il s’agit du procès des empoisonneurs ?
— Non. Je veux parler d’autres pratiques qui ont trait aux devineresses et pour vous faire comprendre combien la cour fut ensorcelée par ces fables, je prendrai un exemple.
Il s’adressa à madame de Sévigné :
— Pensez-vous que la funeste réunion organisée chez la comtesse de Soissons donne la mesure de ces folies ?
— Vous ne pouviez trouver mieux, cher marquis, pour expliquer à Hélène ce qu’il en fut.
Elle sonna pour qu’on nous apporte du vin et du café. Le vieux Sébastien fut chargé de nourrir la cheminée. Les flammes n’empêchèrent pas madame de Sévigné de frissonner de plaisir. Et alors que Louis de Mieszko se plaçait devant l’âtre comme s’il s’agissait d’une scène, elle croqua dans le premier chocolat de la journée, déjà conquise par la voix de son invité.
— Avant que le scandale de l’Affaire des Poisons n’ait éclaté, commença le marquis de Penhoët, il vint à la comtesse de Soissons une mauvaise idée. Entre chien et loup, alors que la nuit tombait, elle décida d’organiser ce qu’il convient d’appeler une séance de nécromancie. Ce sombre projet consistait à vouloir consulter les morts. Au cours de la soirée, un homme – un malandrin dont on ignora le nom – se prétendit capable de révéler à cette noble dame ce qu’il en serait de l’avenir de son mari malade. En fait, la question fut plus directe : allait-il vivre ou mourir ? À quoi on aurait pu ajouter que de la réponse dépendrait l’usage ou non d’une poudre à succession, car il y avait des liens entre les devineresses et les empoisonneuses.
« Mais conclure ainsi serait aller vite en besogne, corrigea le conteur en posant un coude sur la cheminée. Il faut d’abord entendre les faits.
« Pour converser avec l’au-delà, la comtesse de Soissons réunit une table de courageux et l’on fit entrer une enfant de cinq ans qui colportait un don de sibylle. Si cette petite innocente annonçait la mort du comte, il devenait évident qu’il trépasserait. C’était une sorte de preuve avant l’heure. La prédiction étant faite en public, comment accuser son entourage (et pourquoi pas son épouse) d’avoir usé d’un expédient fatal ? Seul le destin était coupable. En attendant, l’heure tournait et n’était-ce pas à la table de le faire ? On demanda aux adeptes s’ils étaient décidés à tenter l’expérience. On remua sur sa chaise, toussa, on se regarda. L’un capitula, de peur d’être accusé de complicité avec le diable.
« L’assemblée étant nettoyée de son importun, on tendit un simple verre d’eau à l’enfant et l’eau claire ne le fut plus, ce qui troubla autant les spectateurs. On recommença trois fois et l’eau s’assombrit autant. C’était la preuve irréfutable d’une mort prédite que l’enfant confirma en parlant de la vision d’un cheval blanc et d’un fauve dont l’identité fut attribuée à un tigre, ce qui parut incroyablement certain, d’autant que personne n’en avait jamais croisé...
« De fait, le comte mourut peu de temps après. Et la comtesse fut menacée. Fallait-il chercher un lien de cause à effet entre la prédiction et cette fin tragique ? L’Affaire des Poisons acheva de persuader les apprentis sorciers que ces pratiques occultes se montraient dangereuses. Talismans, pactes avec le diable et autres sorcelleries se dirent passés de mode. D’ailleurs, le roi avait prévenu : lui et ses lettres de cachet seraient désormais intraitables. Mais c’était oublier la fascination croissante pour le seul pouvoir qui puisse échapper aux mortels, même les plus grands : la révélation du futur.
« Et hier, à Versailles, la vicomtesse de Lancquet n’a pas résisté à la tentation, murmura Louis de Mieszko, le visage éclairé par un sourire malicieux.
« La vicomtesse de Lancquet faisait partie de ces oisifs, esclaves des superstitions. Et plus le temps passait, plus cette mode grandissait, d’autant qu’elle s’accompagnait de la saveur de l’interdit. Il ne lui en fallut pas plus pour braver l’autorité royale dans
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