L'Insoumise du Roi-Soleil
d’immenses forêts de roseaux qui encourageaient les attaques des alligators. La fin semblait proche. La Salle allait échouer. Quand, enfin, l’eau devint saumâtre. La mer s’approchait, remontait le cours du fleuve. Les explorateurs rescapés avaient réussi. À la cime d’un arbre, on hissa les armes du roi, forgées pour l’occasion dans un fond de marmite. Et le Mississippi, gigantesque fleuve, prit le nom de Colbert 4 .
La réputation de l’explorateur grandit encore en apprenant que son notaire avait, le 9 avril 1682, dressé cette croix, marquant la naissance de la Louisiane, territoire immense et profitable qui porterait pour toujours le nom de son roi Louis. La Salle avait triomphé. Il pouvait rentrer en France. On l’attendait.
— Et il vient d’arriver, dit Louis de Mieszko de son air rusé. Son navire a touché les côtes de France.
— Mais comment le savez-vous ? s’inquiéta madame de Sévigné.
— Je l’ignore, répondit calmement le marquis. C’est le fond de notre farce, comprenez-vous ?
Le visage de la moraliste s’éclaira.
— Continuez ! J’adore votre invention.
— Ce qui suit est plus inquiétant. La Salle est gravement malade, atteint selon des témoins dignes de foi d’un mal que l’on pense incurable. Il se traîne depuis son départ de Louisiane. Il a déliré pendant toute la traversée.
— Le pauvre, murmura la marquise qui se prenait au jeu.
— Et l’on craint qu’il ne puisse atteindre Versailles.
— Quel ennui, fit-elle encore.
— D’autant que le roi voulait lui confier quatre navires pour entreprendre une nouvelle expédition.
— Quel manque de chance !
— Oh ! mais le mot n’est pas assez fort, madame la marquise. Un prêtre s’est penché sur lui pour lui administrer l’extrême-onction.
— Il me semble que vous exagérez : on ne joue pas avec l’âme d’un pécheur.
— C’est moi qui serai puni. Et je prends ce risque. Pour croire, il faut un drame.
— Mais alors, où vous conduit-il ?
— Informé par Colbert de l’état de santé de La Salle, le roi décidera d’aller au-devant de son explorateur. Il le fera jeudi, alors qu’il sera dans son Cabinet.
— Ce choix est judicieux, remarqua la marquise. C’est le seul moment où le roi ne se montre pas à la cour.
— Il se racontera qu’en sortant du Conseil et sans autres frais, il a sauté dans son carrosse.
— Pour ajouter à l’illusion, songez-vous à en faire partir un de Versailles ?
— Ce sera inutile. Les courtisans ne songent qu’à se préparer pour se rendre à la messe. Il s’agira d’utiliser deux ou trois messagers, trop heureux d’être les premiers informés, pour que le bruit circule. Des appartements aux galeries, des salons aux jardins, il se répandra, car la cour ne se sépare pas. En une heure, elle sera infectée. Elle croira que le roi n’est pas à Versailles. Lui ? En sortant du Conseil, il se rend chez la marquise de Montespan. Cette visite se fait sans témoin. Puis il va directement à sa chapelle en passant par les appartements de la reine. C’est sur ce parcours que se produira la rencontre. Hélène sera là.
— Voilà qui est pensé, murmura madame de Sévigné d’une voix néanmoins tremblante. Dieu, quelle affaire. Tout repose sur le fait que la cour croie à l’attachement du roi pour La Salle.
Son visage pâlit :
— Ah ! Pourvu qu’un événement ne vienne pas contrarier votre affaire.
Son inquiétude me gagna :
— À quoi songez-vous ? demandai-je du bout des lèvres.
— Tout peut arriver, glissa-t-elle sans répondre précisément.
— Allons ! s’agaça le marquis, puisque vous le voulez, prenez le rôle de Cassandre. Eh bien ! À quoi pensez-vous ?
— De tout cœur, je vous souhaite de réussir, mais, gémit-elle, s’en prendre au roi...
Louis de Mieszko abandonna le ton courtois que je lui connaissais. Lui aussi prenait peur :
— Quoi encore ? Je vous en prie. Tous les avis comptent.
Elle baissa les yeux :
— Imaginons, chuchota-t-elle, craignant que ses mots nous blessent, qu’au Lever du roi, son médecin décèle un accès de goutte. Le cas est possible. Oui, cela s’est produit en avril.
— Je n’ai pas gardé le souvenir d’un jour où le roi soit resté dans sa chambre.
— La goutte ou autre chose, marquis ! s’irrita à son tour madame de Sévigné. Je vous prie de ne pas discutailler sur l’exemple, mais sur ses conséquences. Le roi, pour une raison que je ne peux pas
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