L'Insoumise du Roi-Soleil
eût été un bel événement.
— C’est exactement mon dessein, et ce sur quoi s’appuiera notre entreprise mensongère.
Roger Cavelier de La Salle était l’inventeur de la Louisiane. Ce fils d’un mercier de Rouen avait été anobli par le roi en 1675 pour sa contribution à l’agrandissement du Royaume de Louis XIV. Avant, il s’était rendu à Québec, en 1667 et, de là, avait entrepris une périlleuse aventure vers ce que l’on nommait la mer du Sud . Rentré en France en 1678, il avait été reçu par le roi qu’il parvint à convaincre d’étendre ses rayons au-delà des froides contrées du Nord. Si bien que La Salle repartit en 1679 pour découvrir le Sud et l’Ouest, muni d’un droit de seigneurie sur les forts qu’il bâtirait.
Mais depuis, qu’avait-il découvert ?
La vie du colonisateur est à la fois hasardeuse et solitaire. On le croit mort, tué par ses hommes lors d’une mutinerie 3 , victime de la hargne des sauvages, tombé sous les crocs d’un fauve ou mourant d’une fièvre incurable. La Salle avait sans doute la vie dure, mais il faisait rêver le roi et la cour. Ne disait-on pas que la Nouvelle-France représentait un empire d’une taille dix fois supérieure à notre pays ? Mais qu’allait-on en tirer ? Esclaves, or, épices... les esprits tournaient. Tout cela était-il vrai ? Et où se trouvait La Salle ?
C’est alors que l’on apprit, par le retour d’un bateau venant du Québec, que La Salle avait enfin atteint la mer du Sud après une expédition de plusieurs milliers de lieues dont on enlumina le récit de centaines d’aventures où les féroces peuplades indiennes tenaient une place considérable. L’exploit s’imaginait comme la descente vertigineuse de fleuves gigantesques, aux cours démesurés, aux tourbillons abyssaux, aux rives défendues tantôt par des Iroquois, tantôt par des Arkansas dont il avait fallu combattre la sauvagerie. Henri de Tonty, second de La Salle, en avait fait les frais. On le supposait prisonnier des terribles Iroquois, tribu à la barbarie sans égale qui, colportait-on, se nourrissait du sang et des os de leurs victimes. Ainsi, racontait-on, ces guerriers intraitables arrachaient la peau du crâne des vaincus, comme on dépècerait un lièvre, et se ceinturaient de leurs trophées avant d’honorer leurs dieux païens lors de danses macabres portées par leurs hurlements. Au cours de ces cérémonies, ils se pavanaient paraît-il nus, le corps peint, hurlant à la lune, avant de s’accoupler dans des orgies sataniques où se mêlaient femmes et animaux.
Ne renonçant jamais, La Salle réussit à apprivoiser le peuple des Arkansas. Ceux-ci lui assurèrent que l’Illinois débouchait sur un fleuve, plus immense encore, au nom de Mississippi, et, qu’en l’empruntant, il parviendrait à la mer du Sud où se trouvaient les Espagnols. Était-ce une trahison ? Sans hésiter, le courageux explorateur se jeta dans l’inconnu.
La descente du fleuve ne fut pas de tout repos. En se réchauffant, la nature avait donné vie à de monstrueuses créatures vivant dans le fleuve – d’énormes serpents à la peau couverte d’écailles qu’un mousqueton ou que le fer le plus solide ne pouvait percer. Pourvus de crocs plus pointus et plus coupants que ceux d’un ours féroce, ces monstres de la Création, à qui l’on donna le nom d’alligator, flottaient entre deux eaux, camouflés par la boue. Invisibles et silencieux, ils attendaient que la nuit tombe pour attaquer. Profitant du sommeil des hommes, ils surgissaient alors, tel le diable, fouettant l’eau de leur queue et saisissant ceux qui avaient commis l’imprudence de se trouver à portée de leurs mâchoires d’airain. Ils les emportaient alors dans un tourbillon de sang et de chair. Les hommes, hurlant d’épouvante et de douleur, étaient engloutis sur le coup, et leurs corps ne remontaient jamais. Parfois, l’un d’eux survivait un temps en offrant en sacrifice un bras ou une jambe. Mais, dès l’aube, la chaleur pourrissait les blessures. La fièvre gagnait les plaies dont la couleur noire et l’odeur putride brisaient les esprits les plus solides. Les malheureux mouraient dans de si terribles souffrances qu’on en venait à espérer que, prise au piège, la victime se laisserait emporter pour mourir au plus vite. Mais l’appétit de ces titans semblait insatiable. Chaque jour, leur nombre grandissait. Et en descendant vers le sud, le fleuve se peuplait
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